Ne pas mourir dans l’année qui suit le départ en retraite
OPINION -
Comme je suis avant tout cuisinière (j’aime et je sais faire la cuisine), j’ai tendance à aborder toute question qui m’est posée en ces termes simples. Des convives, des ingrédients, une recette, l’organisation du travail, des pluches à la cuisson.
Cela me donne des listes, que j’épingle dans ma cuisine et qui se parent peu à peu de croix quand les tâches sont accomplies.
Nous avons en France depuis 1945 un régime de retraites par répartition. C’est-à-dire que chaque personne qui travaille voit son revenu salarié ou indépendant amputé d’un pourcentage dit cotisations (part salariale et part patronale) qui alimente les fonds servant à payer leur retraite aux retraités du moment. Ce système souffre de divers maux, le premier étant dû à la composante démographique, le nombre d’actifs ayant diminué par rapport aux retraités, du fait notamment de l’allongement de la durée de vie des retraités et du rétrécissement de la pyramide démographique. Dès lors le total des cotisations ne couvre pas le total des retraites de base de la Sécurité Sociale. (Au contraire des complémentaires qui ont un régime à points sans déficit permis…) à payer.
On ne peut pas passer d’un système par répartition à un système par capitalisation, c’est-à-dire qu’au lieu de verser des cotisations aux retraités, les actifs les verseraient à un fonds de pension qui les placerait pour leur servir une rente une fois leur vie active terminée. On voit bien qu’il n’est pas possible de payer à la fois des cotisations pour les retraités actuels et de les mettre en réserve pour nos retraites futures.
On peut introduire un peu de capitalisation, ce que font les personnes en acquérant leur logement, en plaçant leur argent dans l’immobilier ou dans des fonds de capitalisation, type Préfon pour les fonctionnaires et tous les PER en tous genres plus récemment créés qui permettent aux plus hauts revenus de compléter leur retraite classique ; mais on ne peut pas priver du jour au lendemain les retraités des fonds versés grâce aux cotisations des actifs ni demander à ceux-ci de cotiser doublement.
Il s’agit donc de réformer le système par répartition, pour que les cotisations des actifs couvrent les retraites.
La réforme des retraites a suivi diverses pistes. Celle de la construction d’un grand système unifié (tous les régimes appliquant les mêmes règles) est périodiquement avancée, notamment sous le titre de régime à points : chaque euro cotisé s’inscrit comme une promesse de retraite. Si ce régime paraît plus adapté aux carrières morcelées, fluctuantes actuelles, il n’est pas la solution miracle. Car l’équilibre du régime, quoi qu’il en soit tient à l’équilibre entre cotisations et pensions à verser. Un nombre d’actifs en diminution et de retraités en augmentation, notamment parce que du fait de l’allongement de la durée de vie, les retraites sont versées plus longtemps, oblige à jouer sur les différents tableaux : recul de l’âge de départ, augmentation du nombre d’annuités, diminution éventuelle des pensions etc.
Le débat en France s’est focalisé sur l’âge de départ à la retraite.
L’idée simple a été d’augmenter l’âge de départ et le nombre d’annuités pour compenser l’augmentation du nombre de retraités due à l’allongement de la durée de vie. Jusqu’à en arriver à proposer un âge de départ équivalent à 62 puis 63 ans et devant encore augmenter, avec un nombre d’annuités requis équivalent. L’âge de départ à la retraite focalise les positions politiques, polarise les débats. La retraite à 60 ans est en quelque sorte un slogan, la retraite à 67 ans traduisant au contraire l’esprit responsable !
Dans les cercles de l’administration sociale, l’étonnement est grand devant les protestations syndicales et populaires face à cet allongement. L’aspiration à la retraite telle que l’expriment des mécaniciens, des carreleurs, des agriculteurs, des vendeurs, des coiffeurs, des employés de la grande distribution, mais aussi divers techniciens, voire des enseignants du secondaire n’est tout simplement pas comprise par les hauts fonctionnaires, les grands patrons, les hommes politiques, les journalistes, les artistes, toutes professions participant de l’opinion publiée. Pourtant un carreleur ou un ouvrier du bâtiment, un coiffeur, un agriculteur sont souvent « cassés » à 60 ans et on sait statistiquement qu’un ouvrier a 8 ans d’espérance de vie en moins qu’un cadre.
Donc si l’on examine la question sous un angle basique : quelle est la rentabilité des cotisations versées selon les professions, on se rend compte que ces plaintes contre ce qui est considéré comme une injustice ne sont ni absurdes ni scandaleuses.
L’état physique et psychique des personnes prenant leur retraite est très différent selon la carrière professionnelle qu’elles ont eue. Mais de manière plus approfondie, on voit que si certaines professions épuisent ceux qui les occupent, leur rendant difficile la continuation de l’activité au-delà d’un certain âge sans cependant diminuer leur espérance de vie en bonne santé, certaines autres professions usent les corps de telle manière que leur durée moyenne de vie est plus faible. Les enseignants ont peine à tenir une classe à 70 ans, mais ont une espérance de vie très longue. Au contraire des égoutiers par exemple.
Selon l’INSEE, la différence d’espérance de durée de vie à 63 ans est de 5,3 ans entre un homme gagnant 6 000 € et celui gagnant 1 000 € par mois, de 3,3 ans pour les femmes à même écart de revenu. Bien sûr on dira que les habitudes (mauvaises, voire vicieuses !!) des classes populaires qui fument, boivent, etc, souffrent de surpoids et une fois à la retraite ne bougent plus, déterminent ces différences. Il n’empêche, les conditions de travail sont déterminantes quant à l’espérance de vie sans handicap ; le carreleur devra se faire mettre une prothèse du genou à 55 ans quand le cadre même sportif aura à le faire à 75 ans. L’ouvrier du bâtiment sera plus tôt malentendant, souffrira plus d’hernies discales, d’asthme, etc. que le professeur des écoles.
Le compte pénibilité, devenu en 2021 compte prévention selon le mécanisme bien connu d’inversion qui fait du ministère de la Guerre celui de la Paix ou de l'Amour n’est pas très opérant pour corriger ces inégalités. Ne prenant en compte que 6 critères (travail de nuit, travail en 3/8, travail à la chaîne, travail sous l’eau, bruit, températures extrêmes), il paraît aux employeurs compliqué d’usage (ce sont eux qui déclarent la pénibilité) et ne permet d’anticiper le départ à la retraite en convertissant ses points pénibilité en annuités que pour un montant de deux ans. C’est comme souvent une usine à gaz, dans laquelle, sous prétexte d’être le plus juste possible, on aboutit à un défaut d’accès aux droits.
Partie 2 à venir
1 Ce système n’est pas pur. Par exemple, pour les indépendants, les commerçants, les médecins, leur retraite était largement complétée par la vente de leur commerce ou de leur cabinet médical. On vendait non seulement les murs, mais aussi la clientèle. Ce qui explique que longtemps le niveau des cotisations et des prestations de ces professions ait été assez bas. Aujourd’hui l'Assurance Maladie a transformé les médecins libéraux en pseudosalariés, prenant en charge une large partie de leurs cotisations sociales en échange d’une soumission aux protocoles de soins décidés par la CNAM.
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