M. Lecornu, relisez De Gaulle !
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Charles de Gaulle Discours de Bagatelle 1951Premier ministre sans gouvernement pendant près d'un mois, puis Premier ministre d'un gouvernement mort-né, enfin en mission spéciale à la demande de son mentor élyséen, M. Lecornu est donc apparu mercredi soir au journal de 20 heures de France 2 pour une intervention dont la tonalité générale m'a semblé d'une obscure clarté.
Ce qui a été très clair en revanche, c'est la référence répétée et éhontée au gaullisme pour tenter de justifier l'injustifiable.
Les Françaises et les Français ont eu droit au rappel du "discours de Bayeux". Sans vouloir faire de droit constitutionnel, a-t-il tenu à préciser, M. Lecornu a néanmoins voulu - comme, avant lui, un autre gaulliste patenté, j'ai nommé François Bayrou ! - présenter la mascarade et la confusion actuelles en se référant au général de Gaulle. Il fallait vraiment y penser…
Si M. Lecornu ne l'a pas explicitement cité, son illustre prédécesseur à Matignon n'avait pas hésité à reprendre un court extrait, concernant la formation d'un gouvernement, du discours prononcé à Bayeux le 16 juin 1946 : "Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation générale qui se dégage du Parlement".
Mais, au sortir de la guerre et en terre normande, le général de Gaulle avait tenu des propos qui ne sont pas sans caractériser le spectacle lamentable offert depuis des mois au peuple français par de soi-disant gouvernants.
Ainsi dénonçait-il, à propos du régime qui avait sombré en juin 1940, "une autorité qui n'était que fictive, bien qu'elle fût, en apparence, constitutionnellement fondée. Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens". Aujourd'hui, on chercherait en vain l'adhésion confiante des citoyens, quand M. Macron ne dispose plus que du soutien de 14 % des Français.
De Gaulle déclarait aussi, à Bayeux : "Du Parlement, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le gouvernement ne serait bientôt plus qu'un assemblage de délégations". N'est-ce pas "un assemblage de délégations" qui a explosé dans la soirée du dimanche 5 octobre et au petit matin du 6 octobre ?
À propos des pouvoirs qu'il lui semblait indispensable d'accorder au président de la République dans les futures institutions, le Général insistait ce 16 juin 1946 sur celui-ci : "À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le Conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine".
Ne sommes-nous pas dans "un moment de grave confusion" qui mériterait que le peuple français fasse connaître, à l'occasion de l'élection majeure de la Vᵉ République, l'élection présidentielle, "sa décision souveraine" ?
Au temps du Rassemblement du Peuple Français, et dans son combat contre la IVᵉ République et pour une autre République, Charles de Gaulle est souvent intervenu pour condamner "un régime des partis (...) qui perdra son temps dans les comités, les vanités, les insanités" (Vincennes, 22 mai 1949). Ce jour-là, il délivre sa définition d'"une vraie démocratie, fondée sur le sentiment et la volonté du peuple et non sur des combinaisons partisanes et parlementaires", l'exact inverse de l'opération à laquelle vient de se livrer l'hôte plus que temporaire de Matignon.
Quelques mois plus tard, au Mans, le 23 octobre, "rien n'est plus urgent - disait-il - que d'en finir avec cette sorte de théâtre d'ombres dont le régime actuel offre sans relâche au pays et au monde le spectacle scandaleux et qui risque, une fois de plus, de perdre la République". Est-ce que cette formule ne qualifie pas rigoureusement la tragi-comédie jouée sur la scène publique, devant un peuple médusé et en colère, en cet automne 2025 ?
Le 11 février 1950, au Vélodrome d'Hiver à Paris, le Président du RPF posait cette question : "Qui peut prétendre que la sombre comédie, le ballet d'ombres chinoises, les funambulesques intrigues, par quoi le régime des partis ravale les trois pouvoirs et bafoue la République, aient le moindre rapport avec les exigences du siècle, les problèmes à résoudre, le salut à assurer ?". Et il y répondait : "L'impuissance étouffe et dégrade l'État".
Quelques mois plus tard, le 21 octobre, en ce haut lieu des grandes réunions du RPF, le Général stigmatisait "les palinodies du régime qui flotte sur la nation comme l'écume sur la mer" et "un système qui n'est plus qu'une scène de contradictions sur un théâtre d'impuissance", cette impuissance que je reprochais l'autre jour à M. Lecornu d'habiller des couleurs du gaullisme.
Dans une Déclaration publiée le 8 octobre 1952, le général de Gaulle appelait de ses vœux "une réforme profonde des institutions (...) associant le peuple à ses propres affaires, en lui donnant, dans les cas graves, par le référendum ou la dissolution de l'Assemblée nationale, le moyen d'exprimer sa volonté et son verdict". En juin-juillet 2024, le peuple français a exprimé sa volonté et son verdict. Mais le président de la République n'en a tenu aucun compte. Parce qu'il y avait eu renvoi des députés devant le corps électoral, et que la sentence du peuple avait été sans appel, M. Macron aurait dû se démettre. La France ne serait pas dans l'état où elle est désormais s'il avait respecté le suffrage universel, au lieu de jouer avec les institutions et avec les ambitions des uns et des autres pour se maintenir, "quoi qu'il en coûte", au pouvoir.
Le 6 mai 1953, prenant acte de l'échec du RPF, de Gaulle se retire à Colombey, non sans déplorer "la série des combinaisons, marchandages, votes de confiance, investitures, qui sont les jeux, les poisons et les délices du système". Ces mêmes jeux, poisons et délices de nouveau en vigueur dans la Macronie agonisante.
Revenu au pouvoir en 1958, et ayant fondé la Vᵉ République avec le concours du peuple français, par référendum ("cet acte du peuple, c'est-à-dire simple et portant loin"), Charles de Gaulle insiste dans une conférence de presse, le 11 avril 1961, sur la relation de confiance qui doit exister entre le président de la République et le peuple : "Ce qui est pour la France d'une nécessité absolue, c'est que ses pouvoirs aient une tête et que le chef de l'État dispose de l'adhésion profonde du pays".
Et, dans une autre rencontre avec la presse, le 9 septembre 1965, il précise sa pensée : "C'est avant tout avec le peuple lui-même que celui qui en est le mandataire et le guide se tient en contact direct". M. Lecornu pourrait-il prétendre que M. Macron se tient en contact direct avec le peuple, alors qu'il demeure enfermé dans son palais ?
La preuve est faite, et surabondamment : se référer au fondateur de la Vᵉ République, alors qu'"un crime se commet sous nos yeux" - ce sont les premiers mots de Michel Debré, dans "La mort de l'État républicain" - et que la Vᵉ République se meurt, et qu'elle se meurt assassinée, n'est vraiment pas convenable.
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