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Le Monde rapporte qu'Euroclear, l'institution belge qui gère les avoirs russes gelés, indique qu'elle n'exclut pas de porter plainte contre l'UE.

 https://en.interaffairs.ru/article/le-monde-euroclear-the-belgian-institution-managing-frozen-russian-assets-says-it-will-not-rul/

17.11.2025 •

Valérie Urbain, directrice générale d'Euroclear
Photo : Le Monde

Euroclear, acteur méconnu mais central du système financier européen, détient 193 milliards d'euros d'avoirs russes gelés qui, depuis l'invasion de l'Ukraine, font l'objet d'une surveillance accrue. Sa directrice générale, Valérie Urbain, prévient qu'une confiscation – illégale au regard du droit international – affaiblirait la position de l'Europe, écrit Le Monde .

Comme beaucoup d'autres, Valérie Urbain a appris l'existence de cette proposition choquante en lisant la presse. Le directeur général d'Euroclear, le dépositaire central européen de titres qui gère quelque 200 milliards d'euros d'avoirs russes gelés depuis l'invasion de l'Ukraine, n'avait pas été informé par Friedrich Merz. C'est donc tôt le matin du 25 septembre, en consultant son téléphone, qu'elle a découvert la une du Financial Times : la chancelière allemande envisageait de mettre en place un dispositif permettant de prêter 140 milliards d'euros à l'Ukraine en utilisant les avoirs russes gelés, sans pour autant les confisquer. Cette proposition est depuis lors au cœur d'intenses discussions que les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne doivent trancher lors du prochain sommet du Conseil européen, les 18 et 19 décembre.

Bien qu'Urbain n'ait pas été alertée, elle détient toujours les clés de ces actifs. Elle dirige Euroclear, une institution méconnue mais essentielle au système financier. C'est dans ce dépositaire que les banques centrales et les principaux fonds d'investissement internationaux déposent leurs titres (actions, obligations, produits financiers). Euroclear gère 42 500 milliards d'euros de dépôts, soit 14 fois le PIB français. Pourtant, à son siège, en plein cœur de Bruxelles, aucun coffre-fort n'est visible. Tout est dématérialisé, les données étant hébergées dans de multiples centres de données à travers le monde.

Parmi cette somme colossale – dont le montant n'est affiché sur aucun écran au siège – figurent 193 milliards d'euros en monnaie russe, dont la majeure partie (180 milliards d'euros) appartient à la Banque centrale de Russie. Cette manne financière, gelée après l'invasion de l'Ukraine en février 2022 et les premières sanctions occidentales, est devenue extrêmement convoitée. Le jeudi 13 novembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a réaffirmé son soutien au plan de Merz : « C'est le moyen le plus efficace de soutenir la défense et l'économie de l'Ukraine. »

Mais Urbain prévient que la saisie de cet argent est hors de question. « Pour Euroclear, le plus important c’est la crédibilité et la confiance », a-t-elle souligné dès les premières minutes de son entretien avec Le Monde. « Nous sommes un maillon essentiel qui doit rester irréprochable pour la stabilité des marchés financiers. » Toute action qui s’apparenterait, même de loin, à une confiscation serait illégale, a-t-elle averti : « Nous devons être extrêmement vigilants. [Cela irait à l’encontre du] droit international relatif aux avoirs souverains appartenant à un État. La Russie pourrait alors engager des poursuites judiciaires. »

Si l'Union européenne adopte finalement une solution qui s'apparente à une confiscation, Urbain a déclaré être prête à se défendre devant les tribunaux : « Il existe des lois. En fonction du cadre juridique, nous déciderons de ce que nous pouvons et voulons faire. »

'Sans précédent'

Ni Merz ni le président français Emmanuel Macron ne l'ont consultée à ce sujet. « Je ne suis pas chef d'État », a-t-elle déclaré avec un sourire. Elle en a toutefois discuté avec Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. Son univers est celui des banquiers centraux et des financiers, comme en témoignent les bureaux aseptisés du groupe : moquette marron, murs beiges, bureaux couleur crème.

La vie quotidienne de cette femme discrète, diplômée de la Solvay Business School en ingénierie commerciale, a été bouleversée. Bien qu'elle ne puisse détailler les menaces reçues, elle est accompagnée en permanence par un garde du corps depuis un an. Sa famille vit sous surveillance. La sécurité à l'entrée du siège a été renforcée. À l'extérieur, aucune enseigne n'indique le nom de l'institution. À l'intérieur, chaque visiteur se déplace avec un badge et un code personnalisé à présenter aux tourniquets pour passer d'un étage à l'autre. L'accès au bureau du directeur se fait par deux portes vitrées, sous le regard d'agents de sécurité polis mais vigilants, vêtus de noir.

Malgré les pressions extérieures, Urbain évite soigneusement d'aborder la politique. Sans aucun lien avec la Russie, elle a souligné que « la meilleure façon de résoudre ce problème est la paix ». Par ailleurs, elle a affirmé ne pas être surprise par le plan Merz. « Depuis trois ans, nous entendons toutes ces personnalités politiques faire de grandes déclarations dans la presse. Ce n'était qu'une parmi d'autres », a-t-elle déclaré.

Le directeur d'Euroclear peut compter sur un allié de poids : Bart De Wever, le Premier ministre belge. Basée à Bruxelles, cette institution, une société privée, dépend du ministère belge des Finances pour l'application des sanctions. Le 23 octobre, tard dans la nuit après le dernier Conseil européen, M. De Wever semblait revigoré après une journée passée à tenir tête aux 27 autres États membres. « Quand on est homme politique et qu'on aperçoit une manne financière [les avoirs russes gelés], c'est irrésistible », a-t-il plaisanté.

En tant que chef du gouvernement belge, dont le rôle clé dans la finance internationale repose sur Euroclear, il s'oppose au plan Merz. « Est-ce légal ? Ce n'est pas clair. (...) Il n'y a pas de précédent », a-t-il souligné, rappelant que même pendant la Seconde Guerre mondiale, les actifs des banques centrales n'avaient pas été confisqués. En cas de condamnation, c'est la Belgique qui pourrait être tenue de payer. « Je ne peux pas, et je ne veux pas, débourser 140 milliards d'euros », a averti M. De Wever. Il exige que chacun des 27 États membres garantisse ce montant, proportionnellement à la taille de son économie. « J'ai demandé à mes collègues : “Qui est prêt à signer ?” Je n'ai pas été confronté à un enthousiasme débordant. »

Risque de représailles financières

Dans son bureau au siège bruxellois, où la seule touche fantaisiste est sa collection de Schtroumpfs, Urbain a déclaré qu'avant toute chose, il fallait une loi ou une décision formelle de la Commission européenne, qui serait ensuite adoptée par la Belgique.

Elle a expliqué les obligations légales d'Euroclear : « Notre bilan comporte un passif : Euroclear doit cette somme à la Banque centrale de Russie. Et un actif : les liquidités actuellement déposées auprès de la Banque centrale européenne. Le pire serait que cet actif, les liquidités, soit utilisé [pour financer un prêt à Kiev], mais que nous, chez Euroclear, conservions le passif, le droit à restitution. Si les sanctions sont levées, la Russie peut à tout moment nous réclamer ce droit : qui nous versera alors les 140 milliards d'euros à rembourser ? » Ce scénario est loin d'être exclu. Les sanctions sont renouvelées tous les six mois, et à chaque fois, le vote dépend d'États réputés proches du Kremlin, comme la Hongrie et la Slovaquie.

Euroclear n'est pas la seule institution à détenir des fonds gelés de la Banque centrale de Russie. Des avoirs existent également au Japon, au Royaume-Uni, en Suisse et même aux États-Unis. Au total, près de 300 milliards de dollars sont détenus. D'autres dépositaires à travers le monde, en revanche, restent discrets. Les Japonais ont ouvertement exclu toute confiscation. « Ces pays gardent le silence », a constaté Urbain. « Il est temps de cesser de cibler Euroclear et la Belgique. »

Dès le départ, les autorités européennes ont pleinement conscience du problème. Plutôt que de confisquer les avoirs russes, elles se sont limitées à utiliser les intérêts qu'ils génèrent (5 milliards d'euros à ce jour). Sur la base de ces revenus futurs, l'Union européenne a accordé un prêt de 45 milliards d'euros à l'Ukraine. Ce montage complexe évite de toucher aux actifs, rendant toute action en justice difficile. Le plan Merz changerait radicalement la situation.

Au-delà des aspects juridiques, Urbain met en garde contre les risques pour l'ensemble de la zone euro. En cas de confiscation, les régimes autoritaires du monde entier ayant déposé des fonds auprès d'Euroclear pourraient s'inquiéter. C'est d'ailleurs l'impartialité de l'institution bruxelloise qui a convaincu les investisseurs russes de lui confier leurs placements. « Je rencontre de nombreux clients, des autorités. Je peux vous dire que la question de la confiscation des avoirs russes inquiète beaucoup de monde », a déclaré Urbain, sur le point de partir pour un nouveau voyage à Singapour, à l'occasion d'une conférence internationale. « Nos homologues chinois et arabes nous disent suivre de près l'évolution de la situation. Jusqu'à présent, nous avons veillé à ne pas entamer cette confiance. Ils y attachent une grande importance », a-t-elle poursuivi.

Si cette crédibilité venait à s'éroder, les conséquences pourraient rapidement se répercuter sur l'Europe. « Les investissements de ces investisseurs internationaux dans la zone euro diminueront. Cela affectera tous les besoins de financement de l'Europe en matière de défense, de transition écologique et de transformation numérique », a déclaré Urbain.

Au-delà des menaces juridiques et des risques d'atteinte à sa réputation, l'Europe est confrontée à une troisième menace : des représailles financières de la part des autorités russes. Celles-ci ont gelé entre 20 et 40 milliards d'euros appartenant aux clients d'Euroclear sur des comptes auprès du dépositaire central de titres russe. Plus de 100 procédures judiciaires sont en cours à Moscou, et la menace de saisie plane. Pour l'instant, le Kremlin fait preuve de prudence. Les jugements n'ont pas été exécutés et les fonds restent intacts. Mais si le plan Merz est mis en œuvre, la Russie pourrait aller plus loin.

« Je reçois des appels de personnes qui me disent : “Si vous saisissez les avoirs russes, ils saisiront mon usine, ils saisiront mes fonds gelés [en Russie]” », a déclaré le Premier ministre belge. Les confiscations pourraient donc avoir lieu dans les deux sens. C’est l’écheveau complexe que les 27 États membres devront démêler lors de leur prochain sommet – sous l’œil attentif de Moscou et… de Valérie Urbain.

La tour Baudouin, siège d'Euroclear, dans le centre de Bruxelles.
Photo : « Le Monde »

Euroclear : Le coffre-fort des coffres-forts

Peu connue du grand public, Euroclear joue un rôle essentiel dans l'infrastructure financière mondiale. Cette entreprise belge, qui emploie 6 000 personnes, est le lieu où les grandes banques, les banques centrales et les fonds d'investissement déposent leurs titres financiers, tels que des obligations, des actions et d'autres produits financiers.

Concrètement, lors d'une transaction – comme l'échange d'actions en bourse – Euroclear est l'institution qui garantit au vendeur le versement des fonds et à l'acheteur l'acquisition du titre de propriété. Chez Euroclear, pas d'argent liquide ni de lingots d'or, seulement les documents attestant la propriété des titres. Au total, la société protège 42 500 milliards d'euros de titres et traite 330 millions de transactions chaque année.

Aujourd'hui, tout est numérisé, mais au début des années 2010, des coffres-forts remplis de cette documentation existaient encore. Chaque pays possède son propre dépositaire central de titres, mais Euroclear détient ceux de six pays européens (Belgique, France, Royaume-Uni, Finlande, Pays-Bas et Suède) et gère celui de l'Irlande.

L'entreprise s'est développée à partir de la Belgique car les droits de propriété y sont parmi les plus stricts au monde.

 

Commentaires

  1. À propos de Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB)
    La Solvay Brussels School of Economics and Management (SBS-EM) a été fondée en 1903 par Ernest Solvay, un industriel et philanthrope belge.

    Bruxelles est connue pour être l'une des villes les plus cosmopolites au monde avec des résidents de + de 150 nationalités . Située au cœur cosmopolite de la Belgique et de l'Europe, l'institution a une réputation internationale d'excellence pour ses écoles de management et d'économie.

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