Paul Watson reste en prison : le récit d’une frénésie judiciaire et médiatique

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2 octobre 2024 à 09h31 Mis à jour le 3 octobre 2024


Le capitaine Paul Watson, arrêté en juillet au Groenland, restera en détention jusqu’au 23 octobre. Le fondateur de Sea Shepherd et défenseur des baleines est au cœur d’une affaire aux motifs fragiles.

La prison restera encore quelque temps le navire du capitaine Paul Watson. L’activiste américano-canadien de 73 ans, détenu depuis le 21 juillet au Groenland, restera derrière les barreaux encore trois semaines, a décidé la justice danoise.

Le tribunal de Nuuk, la capitale de l’île danoise, examinait, le 2 octobre, une troisième demande de remise en liberté du militant écologiste. Il restera dans les geôles groenlandaises au moins jusqu’au 23 octobre, en attendant que le ministère danois de la Justice rende sa décision sur la demande d’extradition déposée le 31 juillet par le Japon. Il y encourt quinze ans de prison.

Toutes les demandes de remise en liberté déposées par les avocats du fondateur de Sea Shepherd ont été refusées par le tribunal de Nuuk. La cour a justifié ses décisions par sa volonté de « garantir » la présence de Paul Watson sur le sol danois « au moment de la décision d’extradition » vers le Japon. Plus de soixante-dix jours après le placement en détention du militant écologiste, Reporterre revient sur les enjeux de cette affaire judiciaire.

• Une arrestation spectaculaire aux motifs fragiles

Les images ont fait le tour du monde. Le 21 juillet dernier, alors que Paul Watson et son équipage faisaient escale à Nuuk pour recharger en carburant leur navire, plusieurs officiers de police danois ont déboulé sur le pont. L’activiste septuagénaire, connu pour sa longue bataille contre la chasse à la baleine, a été menotté, puis flanqué dans une camionnette de police. « Ça a blessé mon poignet, confiait-il récemment à Reporterre. Depuis, j’ai beaucoup de mal à écrire. » Il n’est, depuis lors, plus sorti de prison.

Les affaires pour lesquelles Paul Watson a été arrêté remontent à une quinzaine d’années. Début 2010, l’équipage de Sea Shepherd menait en Antarctique une opération de lutte contre les baleiniers japonais. L’archipel asiatique fait partie des trois derniers États — avec l’Islande et la Norvège — à pratiquer la chasse à la baleine, en dépit du moratoire de la Commission baleinière internationale, qui bannit depuis 1986 le commerce de ces cétacés.

Afin d’interrompre les activités des baleiniers, l’équipage a eu recours à la « non-violence agressive », une méthode théorisée par Paul Watson, qui prône de harceler frontalement les braconniers sans recourir à la violence physique. Concrètement, lors de cette mission de 2010, les membres de Sea Shepherd ont diffusé de la musique classique à plein volume, envoyé des cordages sous les hélices des navires-harpons, et jeté de la peinture rouge et des boules puantes à base d’acide butyrique (un composé inoffensif utilisé pour gâter l’odeur de la viande).

Selon les autorités japonaises, l’envoi de boules puantes sur l’un des baleiniers, le Nisshin Maru, aurait causé à un pêcheur des brûlures au visage. Paul Watson et sa défense récusent ces accusations. En s’appuyant sur des vidéos filmées dans le cadre du tournage de la série Whale Wars, ils assurent qu’aucun pêcheur ne se trouvait sur le pont du baleinier au moment de l’action. Les marins se seraient, d’après eux, blessés de leur propre chef en tentant d’envoyer sur les activistes du gaz poivré. La substance aurait été dispersée sur leur visage par le vent.



Le « Nisshin Maru » hissant un petit rorqual jusqu’à sa cale de halage, en 2009. Flickr/CC BY-SA 2.0/Guano

Le Japon accuse également Paul Watson de conspiration d’abordage. Le 15 février 2010, l’écologiste néo-zélandais Pete Bethune, qui était venu prêter main-forte à Sea Shepherd pour sa mission en Antarctique, est monté sur un baleinier japonais, le Shōnan Maru 2. Il souhaitait présenter au capitaine la facture de son trimaran ultramoderne, l’Ady Gil, coupé en deux un mois plus tôt par le navire-harpon suite à une collision.

Une fois à bord, le Néo-Zélandais a été arrêté, puis emmené au Japon, où il a plaidé coupable pour l’abordage. Il a également affirmé aux autorités qu’il avait agi sous le commandement de Paul Watson — même si l’idée venait de lui.

Ces différents évènements valent au capitaine Watson d’être accusé « d’obstruction forcée au commerce, d’atteinte à l’intégrité physique, d’intrusion dans un navire et de vandalisme », selon le mandat d’arrêt japonais consulté par Libération. Une notice rouge — un signalement diffusé par Interpol à la demande d’un service de police, exigeant de ses homologues internationaux la localisation et l’arrestation d’une personne — a été émise en 2012. Longtemps disponible en ligne, elle avait récemment disparu du site d’Interpol. C’est ce qui a laissé croire à Paul Watson qu’il était libre de ses mouvements, selon la présidente de Sea Shepherd France, Lamya Essemlali, et l’a conduit à baisser sa garde.

• La défense acharnée de l’industrie baleinière

L’acharnement des autorités japonaises contre Paul Watson peut, selon lui, s’expliquer par sa lutte ancienne et très médiatisée contre la chasse à la baleine. Lorsque le pays a annoncé, en mai dernier, le lancement de son nouveau baleinier de 44 millions d’euros, le Kangei Maru, Paul Watson et sa fondation ont immédiatement annoncé vouloir lui « barrer la route ». Lors de son arrestation, le capitaine était d’ailleurs en route vers l’océan Arctique, où il espérait « intercepter » le navire-usine.

L’énergie dépensée par le Japon pour défendre la chasse à la baleine a de quoi surprendre, dans la mesure où ses habitants n’en consomment presque plus : ils en mangeaient 200 000 tonnes par an dans les années 1960, contre 2 000 tonnes aujourd’hui.

• Une vague de soutien exceptionnelle

ONG, politiques, artistes, citoyens, amoureux des océans... L’arrestation de Paul Watson a suscité, en France, un élan de soutien massif. Mardi 1er octobre, près de 800 000 personnes avaient signé une pétition lancée par le journaliste Hugo Clément, exigeant sa libération.

Même le gouvernement, d’habitude peu prompt à lutter contre la destruction des océans, lui a adressé son soutien. Cinq jours à peine après son arrestation, le secrétaire d’État à la mer et à la biodiversité, Hervé Berville — depuis remplacé au ministère de la Mer par Fabrice Loher — saluait un « défenseur historique de l’océan », et appelait à ce que le pays œuvre à sa libération.



Des milliers de personnes ont signé la pétition demandant la remise en liberté de Paul Watson. © Sea Shepherd

Selon l’historien et directeur d’études à l’École pratique des hautes études Michel Pastoureau, le soutien sans précédent accordé à Paul Watson peut s’expliquer par le fait que la chasse à la baleine ne concerne qu’une minorité d’États. Il est facile, pour les dirigeants de pays qui n’en consomment pas, de s’acheter une virginité écologique en prenant position sur un sujet ne prêtant pas à controverse sur leur territoire.

Paul Watson incarne, par ailleurs, « une image très attractive de sauveur », analyse dans Mediapart Milo Villain, auteur d’une thèse en 2019 sur les « défenseurs de l’océan ». Depuis son départ de Greenpeace et sa fondation de Sea Shepherd, à la fin des années 1970, le capitaine a multiplié les actions chocs et télégéniques : recouvrir des bébés phoques de peinture pour rendre leur fourrure impropre à la vente, couler (au port, et sans la présence de l’équipage) des navires, arpenter les mers cheveux au vent, logo de pirate floqué sur les vêtements, à la poursuite des braconniers…

« C’est un prototype du héros écologiste basé sur les imageries du marin baroudeur, du guerrier, du pirate justicier. On reste finalement sur des normes de virilité, d’homme qui part au combat, c’est une figure plus conservatrice qu’une Greta Thunberg, par exemple, qui va être attaquée sur son versant féminin et jeune », constate la sociologue spécialiste des luttes environnementales Sylvie Ollitrault dans Mediapart.

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