Vue de Delhi : Voici pourquoi l’Occident devrait prendre au sérieux la révision par la Russie de sa doctrine nucléaire
Cette révision abaisse le seuil d'utilisation des armes nucléaires par la Russie. C'est un avertissement à l'Occident de ne pas intensifier la guerre en Ukraine, écrit Kanwal Sibal, ancien ministre indien des Affaires étrangères, ambassadeur de l'Inde en Turquie, en Egypte, en France et en Russie.
Le conflit ukrainien prend des dimensions de plus en plus dangereuses. Les États-Unis se sont aujourd’hui engagés dans une guerre par procuration ouverte contre la Russie en fournissant des armes, des formations, des renseignements, des instructeurs et des fonds à l’Ukraine pour soutenir son conflit avec la Russie.
Les États-Unis ont déclaré ouvertement que leur objectif dans le conflit ukrainien était d’infliger une défaite stratégique à la Russie, de l’affaiblir militairement au point qu’elle ne puisse plus représenter une menace pour ses voisins, dans l’espoir que cela puisse éventuellement conduire à un changement de régime en Russie.
Les États-Unis ont appliqué les sanctions les plus draconiennes à la Russie pour provoquer son effondrement économique. Ils ont cherché à isoler diplomatiquement la Russie.
Cette stratégie des États-Unis et de l’OTAN n’a pas fonctionné. L’ économie russe a résisté aux sanctions. Après des revers initiaux, l’armée russe a repris du terrain. La Russie a augmenté sa production de matériel de guerre. Elle a adapté sa réponse militaire aux nouvelles technologies d’armement et aux armes et tactiques avancées de l’OTAN employées contre elle. Elle a limité ses objectifs de guerre et utilisé ses ressources militaires en conséquence.
Pour beaucoup de pays du Sud, la Russie, plus grand pays du monde, doté d’immenses ressources naturelles, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et d’une formidable puissance nucléaire, est un élément clé de la création d’un ordre multipolaire. Un tel ordre permettrait à lui seul de faire entendre sa voix dans la gouvernance internationale.
L’Occident a intensifié le conflit militaire en Ukraine en fournissant aux forces armées ukrainiennes de plus en plus d’armes mortelles pour attaquer des cibles russes. Cela s’est fait étape par étape pour tester les lignes rouges russes. Cela a commencé par la fourniture de systèmes de défense aérienne, d’artillerie à longue portée, de chars, de puissants missiles de croisière, de F16, etc. La Russie a mis en garde contre de telles fournitures accrues, mais a agi avec retenue, sans se laisser distraire par ses objectifs de guerre limités.
Le président Poutine a cependant averti l’Occident qu’il devait comprendre que la Russie était une puissance nucléaire et qu’elle se défendrait si nécessaire avec des armes nucléaires si son existence même était menacée. En 2018, il avait annoncé que la Russie développait un nouveau missile ICBM et des drones sous-marins à longue portée contre lesquels l’Occident n’avait aucune défense. Il l’a répété par la suite.
Les avertissements nucléaires de la Russie sont restés lettre morte en Occident. On estime que la Russie bluffe et qu'il ne faut pas décourager l'Occident. De leur côté, des voix occidentales ont averti que l'Occident possédait lui aussi des armes nucléaires, menaçant de détruire la flotte de la mer Noire si la Russie utilisait des armes nucléaires tactiques en Ukraine. La France a offert l'accès à son arsenal nucléaire pour la défense de l'Europe.
L'Ukraine a été autorisée à utiliser des armes fournies par l'OTAN pour attaquer l'ancien territoire ukrainien désormais intégré à la Russie, ainsi que la flotte russe en mer Noire, qui a subi de nombreux dommages. L'Ukraine a également utilisé des drones à longue portée pour attaquer des cibles situées au plus profond de la Russie. En août 2024, l'Ukraine a fait intrusion dans la région russe de Koursk, la première invasion terrestre de la Russie après celle d'Hitler. Le symbolisme de cette invasion ne peut être ignoré par la Russie.
L’Ukraine fait maintenant pression sur les États-Unis et l’Union européenne pour obtenir l’autorisation d’attaquer la Russie avec les missiles à longue portée fournis par le Royaume-Uni et les États-Unis. Le Royaume-Uni soutient activement cette escalade tandis que les États-Unis semblent réticents par crainte de déclencher un conflit direct entre la Russie et l’OTAN. Zelensky vient de se rendre aux États-Unis avec son plan de victoire qui vise à entraîner l’OTAN dans le conflit.
Alors que ce débat se poursuit en Occident, le président Poutine a dévoilé la révision de la doctrine nucléaire russe qui permettrait à la Russie de riposter à une attaque massive contre son territoire par des missiles, des drones, etc., avec le soutien d'un État nucléaire. Cela abaisse le seuil d'utilisation des armes nucléaires par la Russie. C'est un avertissement à l'Occident d'éviter l'escalade.
En Russie, des voix s'élèvent parmi les géopoliticiens et les philosophes conservateurs qui prônent l'utilisation de l'arme nucléaire par la Russie comme seul moyen de dissuader l'Occident. Le fait est que, jusqu'à présent, le formidable arsenal nucléaire de la Russie n'a pas dissuadé ses adversaires de mener contre elle une guerre ouverte par procuration qui s'intensifie de plus en plus. Les lignes rouges de la Russie ont été franchies à plusieurs reprises par l'Occident
Si la Russie, qui est un fervent partisan du TNP, devait utiliser des armes nucléaires, le régime de non-prolifération s’effondrerait sans aucun doute.
Le plus important est que la déclaration de New Delhi du G20, à laquelle la Russie est également partie, stipule que « l’utilisation ou la menace d’utilisation des armes nucléaires est inadmissible ». Le Brésil et l’Afrique du Sud, ainsi que la Chine, sans parler de l’Arabie saoudite, de l’Indonésie, du Mexique et de la Turquie, ont également souscrit à cette position. Ce sera également la position générale des pays du Sud, au-delà du G20.
En définitive, il n’est pas concevable que la Russie utilise l’arme nucléaire à moins que son existence même ne soit menacée . Cette proposition serait vraie pour tous les pays qui possèdent des armes nucléaires, car la logique de leur possession est précisément de contrecarrer toute menace existentielle.
Si le débat sur l’utilisation des armes nucléaires a commencé en Russie en raison de l’objectif déclaré de l’Occident de lui imposer une défaite stratégique, certains en Europe parlant ouvertement de l’éclatement de la fédération russe, alors la responsabilité incombe à l’Occident de cesser d’alimenter le conflit en Ukraine jusqu’à un point de non-retour et d’explorer plutôt la voie du dialogue et de la diplomatie pour trouver une solution réaliste.
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