Gaz, pétrole, minerais… L’Antarctique captive les grandes puissances

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12 décembre 2022 

L’Antarctique regorge de ressources minières et d’hydrocarbures. Le continent est protégé de l’exploitation jusqu’en 2048. Mais après ? Déjà, les pays se préparent. [1/4]

Vous lisez la partie 1 de l’enquête « L’Antarctique, terre de convoitises ». La partie 2 sera publiée demain.



• Cette enquête est diffusée en partenariat avec l’émission La Terre au carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter.



Métaux rares et précieux, combustibles fossiles ou nucléaires : l’Antarctique abrite des ressources capitales dont raffole l’humanité. Un coffre-fort glacé verrouillé par un traité doublé d’un protocole qui préserve le continent d’une potentielle exploitation minière… jusqu’en 2048. Mais après ?

Alors que plane le spectre de la pénurie et que la demande en matières premières augmente, ces 14 millions de km2 font office d’épicerie bien garnie. Ils gardent au frais — pour encore quelques décennies — un ensemble de 220 minerais qui aiguisent les appétits.

L’Antarctique est le cœur restant d’un gâteau riche, mais déjà bien boulotté : le Gondwana, un supercontinent qui a commencé à se fragmenter il y a plus de 200 millions d’années et a donné naissance à l’Australie, l’Inde, l’Afrique et l’Amérique latine… [1] Plantée au milieu de l’océan austral, sous les 60e mugissants, sa masse rocheuse est une pépite écrasée sous plus de 1,6 kilomètre de glace (en moyenne) dont les sous-sols regorgent théoriquement des mêmes minerais, ressources fossiles, pierres précieuses… que ses cousins éloignés. Sauf que cette terre est consacrée à la science et la paix depuis la signature du Traité de l’Antarctique (TDA) en 1959 — qui a acté qu’elle serait non militarisée et gelé toute prétention territoriale.

© Louise Allain / Reporterre

Cette richesse des sous-sols a-t-elle été confirmée ? Au début des années 1980, sous couvert de science, différents pays ont lancé leurs limiers à la recherche d’or noir et d’or tout court. John C. Behrendt, un géologue étasunien, était chargé de cartographier le potentiel de ce continent inhabité. « Les mesures/échantillons qui revenaient montraient la présence de métaux (fer, cuivre, molybdène, or, argent, nickel, cobalt, platine, chrome, manganèse, etc.), de minerais (mica, quartz, graphite, phosphate, etc.), sans oublier, bien sûr, les énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole et uranium). À cela il faut ajouter la présence de nodules polymétalliques », indique-t-il dans son rapport de soixante-quinze pages publié pour le compte du secrétariat de l’Intérieur étasunien.

À l’époque des chocs pétroliers, le pétrole et les minéraux sont alors les plus susceptibles d’être exploités. Mais dans son introduction, Berhendt prévient : « Dans le cadre de la politique de “retenue volontaire” adoptée par les pays du Traité sur l’Antarctique, aucune exploration pétrolière ou minière active n’a lieu. Les pays signataires sont en train de négocier un régime des ressources minérales de l’Antarctique qui devrait être achevé au cours des prochaines années. »

Ce régime, le Protocole de Madrid signé en 1991 — et entré en vigueur en 1998 —, interdit clairement l’exploration et l’exploitation commerciales des ressources minières ; en revanche, il autorise l’exploration pour des motifs scientifiques. La même année, une étude de l’US Geoglogical Survey (USGS) estime les ressources pétrolières et gazières à 36 milliards de barils équivalent pétrole [2], vite ramenés à 11 milliards seulement du fait de leur rentabilité commerciale.

Sous couvert de science, de nombreux pays ont cartographié les sous-sols

Sous couvert de science donc, de nombreux pays ont cartographié la géologie des sous-sols marin et terrestre de l’Antarctique durant des décennies. En 1998, la dernière évaluation étasunienne de l’US Geological Survey établit une carte des provinces métallogéniques qui atteste la présence de sédiments fossiles, de métaux ferreux et non ferreux, de combustibles nucléaires (uranium, rhénium, thorium), etc. En 2001, les Russes parachèvent le travail en balayant 2,5 millions de km2 dans les régions montagneuses de l’Antarctique côtier, relativement facile à étudier, car la zone est recouverte de glace libre. Ils trouvent un ensemble de minéraux rares à l’échelle de la planète.

Bientôt, l’Antarctique va se libérer des glaces tandis que les technologies extractives échaudées en Arctique (comme sur cette photo) seront également plus abordables. Bureau of Safety and Environmental Enforcement / CC

Toute cette littérature est à la disposition de l’ensemble des pays signataires du TDA et longtemps, l’administration chinoise a mis en avant les différents rapports russes et étasuniens auprès de ses chercheurs. Mais la ligne officielle a toujours été de nier l’intérêt pour les richesses du sous-sol antarctique. « C’était quelque chose que les étrangers n’étaient pas censés savoir », rapporte Anne-Mary Brady dans un ouvrage très documenté, China as a Polar Great Power, issu de quinze années de recherches sur la politique de la Chine envers les pôles.

Cette professeure de géopolitique néozélandaise sinophone a eu accès à des documents sensibles de l’administration de la Chine arctique et antarctique (ACAA), tous retirés du domaine public depuis. Elle écrit qu’en 2005, les chercheurs de l’Institut de recherche polaire chinois (IRPC) ont publié leurs propres estimations : 500 milliards de tonnes de pétrole et 300 à 500 milliards de tonnes de gaz sur le continent auxquelles il faut ajouter 135 milliards de tonnes de pétrole dans l’océan austral. L’un des auteurs du rapport, Yan Qide, qualifie même l’Antarctique de « maison au trésor noir ».

La Russie n’a jamais cessé de fouiller l’Antarctique à la recherche de gisements

La Chine n’a pas l’intention de laisser ce vacherin aux autres. « L’Arctique et l’Antarctique sont des héritages communs de l’humanité. Or, la Chine représente un cinquième de l’humanité, pourquoi n’aurions-nous pas droit à un cinquième de ces ressources ? Le TDA est assez clair : pour avoir son mot à dire, il faut construire une base scientifique, ce que nous avons fait. Nous ne pouvons laisser cela intégralement aux autres pays : le peuple chinois doit faire valoir ses droits. » Traduits par Anne-Marie Brady, ces propos sont attribués à Yin Zhou, ancien officier naval et porte-parole autorisé de l’Armée populaire de Chine.

De son côté, la Russie n’a jamais cessé de fouiller l’Antarctique à la recherche de gisements de matières premières ou fossiles, comme le révèle une enquête du quotidien sud-africain Daily Maverick. En février 2020, dans un communiqué passé inaperçu pour cause de monde covidé, l’entreprise d’État russe Rosegeologia annonce avoir « complété l’évaluation des perspectives de gisements de pétrole et de gaz sur le plateau continental de l’Antarctique ». Le géologue en chef de la mission, Sergey Kozlov, fanfaronne : les données recueillies « permettent de clarifier considérablement nos attentes ». Et pour cause : un butin fossile d’environ 500 milliards de barils sommeillerait dans de grands bassins sédimentaires marins, dans le secteur de l’Antarctique oriental, au large de la Terre de la Reine Maud (voir carte). Soit plus de quinze fois la consommation annuelle mondiale de pétrole [3].

Les ressources exploitées en Antarctique seront compliquées à acheminer. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Αναστασία Πορτνά

Le pays s’est récemment doté d’un plan d’action courant jusqu’en 2030, chargé d’examiner minutieusement la « structure géologique et les minéraux » de la région par voie terrestre, aérienne et maritime. Coût de l’affaire : 10,5 milliards d’euros. Les communiqués officiels s’enchainent : au cours de l’été austral de 2021/22, la Polar Marine Geosurvey Expedition (PMGE), basée à Saint-Pétersbourg, a une fois de plus navigué vers le Sud et conduit des études sismiques en mer de Weddell.

Des ressources difficiles à exploiter et acheminer

Valider la présence de matières premières est une chose, aller les exploiter en est une autre. Une double distance — commerciale et opérationnelle — sert de tampon aux appétits les plus voraces, selon Mikaa Mered [4], auteur d’un ouvrage complet sur Les mondes polaires (éd. Puf, 2017). « Contrairement aux ressources exploitées en Arctique, celles de l’Antarctique seront compliquées à acheminer. L’Asie du Nord, l’Amérique du Nord ou l’Europe, c’est-à-dire les grands pôles de consommation économique et de production industrielle, sont loin. Et dans cet environnement encore hostile, les activités extractives minières, pétrolières ou gazières sont beaucoup plus compliquées à mettre en œuvre. »

Les conditions météorologiques et topographiques compromettent une exploitation aisée ou simplement rentable. Toute infrastructure sous-marine (plateforme offshore, pipeline...) ferait face à des vents, de la houle et des courants phénoménaux. Les compagnies énergétiques ne se prononcent pas sur la faisabilité d’une potentielle exploitation sur place. Mais Total, par exemple, a déjà une expérience avec le gisement gazier Vega Pléyade, situé au large de la Terre de Feu. « Mener des opérations là-bas serait extrêmement difficile et coûteux, analyse Claire Christian, directrice de la Coalition pour l’Antarctique et l’océan austral (Asoc), seule ONG représentée dans les instances de régulation du Traité. Ce serait probablement non rentable économiquement, mais aussi politiquement ou médiatiquement. Franchement, il n’y a aucun avantage à faire cela. » Sauf si la gloutonnerie humaine pour les matières premières ne fléchissait pas au cours de ce siècle...

L’Antarctique est un réservoir à glaçons

S’il est une ressource abondante et a priori accessible, c’est l’eau. Rien n’est stipulé dans le Protocole de Madrid à son sujet. Pourtant, la quasi-totalité (98 %) du continent est recouverte de calottes glaciaires délicatement posées sur ses terres. C’est là qu’est concentrée 90 % de la glace terrestre, soit 70 % de l’eau douce mondiale prisonnière du froid. Sa récolte n’est légalement pas interdite. Sans compter qu’il existe aussi des ressources souterraines : plus de 140 lacs d’eau douce ont été répertoriés, ainsi qu’un réseau complexe de rivières.

L’Antarctique est un réservoir à glaçons qu’il suffirait de découper et de remorquer vers des continents assoiffés comme l’Afrique, relativement proche. L’idée est sortie de plusieurs cerveaux givrés dans les années 1970, soutenue par l’explorateur Paul-Émile Victor et l’ingénieur Georges Mougin et à destination de l’Arabie saoudite. Depuis, Dassault Systèmes a ressorti le projet des cartons, en vain. Une autre initiative — toujours avec Georges Mougin aux manettes — est parvenue à lever 100 millions de dollars (95 millions d’euros) pour acheminer de l’eau douce jusqu’au Cap. Le dernier projet en date, émirati cette fois, a failli se concrétiser en 2019, quand l’entreprise National Advisor Bureau Limited a annoncé le test de ses premiers remorquages d’icebergs pour la bagatelle de 70 millions d’euros.

L’Antarctique est un réservoir d’eau douce immense sous forme de glace. Cela pourrait susciter le désir d’en remorquer vers des continents assoiffés. Pxhere / CC

D’après les calculs du laboratoire international NABL, un iceberg contenant jusqu’à 75 000 milliards de mètres cubes d’eau douce désaltérerait 1 million d’habitants du Golfe durant cinq années [5]. Le remorquage était prévu entre l’île Heard et la ville de Fujeirah dans le golfe Persique, soit 10 000 kilomètres de traversée dans des eaux plutôt chaudes. On ne saura pas ce qui de la température de la mer, de la vitesse de traction ou de la taille de l’iceberg compte le plus dans l’affaire, car depuis le Covid-19, plus personne n’entend parler des tests. Comme si la crise sanitaire avait asséché les financements et douché l’enthousiasme du NABL.

Des espèces qui intéressent l’industrie

Autre ressource d’importance, la vie. La plupart des pays s’intéressent de près à la bioprospection, ce champ de recherche qui répertorie des espèces inconnues. L’Antarctique regorge d’espèces vivant dans des conditions mortelles et adaptées à celles-ci, mais aussi à une haute salinité et à la grande pression des lacs souterrains dans lesquels elles évoluent. Les scientifiques de tous pays ont déjà collecté des milliers de spécimens présentant un potentiel commercial, allant même jusqu’à les breveter sans que cela enfreigne le droit international.

Une marche pour le climat à la Station Concordia (Antarctique), en 2018. © Programma Nazionale di Ricerche in Antartide - PNRA / Institut Polaire Français Paul-Emile Victor - IPEV / CC BY-NC-SA 2.0

Comme le stipule Étienne Giroux dans la Revue québécoise de droit international sur la libre disposition des résultats scientifiques, « certaines molécules produites par cette flore microbienne, notamment des enzymes, possèdent des propriétés de grand intérêt pour l’industrie ». Il donne l’exemple de deux lipases — une enzyme — provenant de la levure candida antarctica ayant déjà fait l’objet de plusieurs brevets sur des procédés biochimiques. Par ailleurs, une collaboration entre la compagnie espagnole Pharmamar et l’Université néo-zélandaise de Canterbury a permis l’isolement et la synthèse de la varioline, « une molécule issue d’une éponge, en cours de développement comme médicament anticancer ».

Une deadline : 2048, et après ?

En 2048, le Protocole de Madrid aura cinquante ans, il sera alors théoriquement possible de lever l’interdiction d’exploitation des ressources minières. Les verrous du coffre-fort glacé pourraient-ils sauter au cours de ce siècle ? Concrètement, cela impliquerait de réviser le texte initial, pour cela, il suffit qu’un des États ayant le statut de « partie consultative » le demande. Ensuite, si les trois quarts de ces parties sont d’accord, le protocole pourrait être amendé. « Peu probable, assure Claire Christian, directrice de l’Asoc. Cela nécessiterait un nouvel instrument juridiquement contraignant qui soit ratifié par toutes les Parties. À ce jour, cela me semble improbable. » Pour finir, il faudrait un régime d’encadrement desdites activités, ce qui ne se décrète pas en quelques mois.

« Cela amènerait plusieurs années de négociations donc éventuellement une exploitation très contrainte à partir de 2060, rassure Élodie Bernollin, chargée de campagne pour l’Asoc, qui reste très prudente quant à la force du Traité de l’Antarctique. On ne peut pas être si confiant dans l’absolu au vu des grands bouleversements géopolitiques, imprévisibles et peut-être même en cours. » Surtout qu’en 2060, personne ne sait à quoi ressemblera le vacherin glacé. « Ce serait suicidaire, prévient Claire Christian, la majeure partie des réserves fossiles doivent rester dans le sous-sol si nous voulons avoir une chance d’atténuer les changements climatiques. » La représentante de la société civile mise sur le bon sens et l’éthique des parties prenantes. « Il serait absurde de détruire l’Antarctique à la recherche de minéraux, de métaux et de pétrole/gaz puisque nous savons que ces activités ont contribué à détruire la plupart des écosystèmes ailleurs. Nous devons absolument apprendre à vivre sans consommer autant que nous le faisons actuellement, sinon l’humanité rendra sa planète invivable. »

Reste une inconnue de taille qui changerait irrémédiablement la donne et c’est Noël Mamère, auteur d’un rapport parlementaire sur le futur du traité, qui met la puce à l’oreille : rien n’empêche « un grand État de faire cavalier seul et de sortir du système »



L’Antarctique, terre de convoitises [1/4] Le continent de glaces regorge de ressources. Protégé de l’exploitation minière, il ne l’est pas de la pêche : ses fonds marins sont ratissés, tandis que des flopées de touristes perturbent ses écosystèmes. Abonnez-vous à l’infolettre pour ne pas rater la seconde partie.

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