Comment est nourri le saumon de Noël ? Un secret bien gardé
De : https://reporterre.net/Qu-a-mange-le-saumon-de-Noel-Un-secret-bien-garde?
Les saumons que nous mangeons sont élevés dans des fermes européennes. Mais ils sont probablement nourris de petits poissons pêchés fort loin, notamment en Afrique. Sans que le consommateur n’en soit informé.
Pour beaucoup de Français, un Noël sans saumon fumé, c’est comme un
Noël sans cadeaux. Chaque année, nous en consommons plus de 40 000
tonnes, essentiellement en fin d’année. Dans la majorité des cas, il
s’agit de saumons salmo salar — l’espèce atlantique — élevés dans
une ferme norvégienne ou écossaise avant de finir en tranches rose
orangé vendues sous plastique.
Au Sud, à 5 000 kilomètres et plus, l’engouement mondial pour ces
poissons passe mal. De la Mauritanie au Nigéria en passant par le
Sénégal, les populations sont victimes collatérales de l’industrie
aquacole. Car pour nourrir ces millions de carnassiers à nageoires
parqués en Europe du Nord ou en Asie, les éleveurs ont besoin de farine
et d’huile extraites de petits poissons sauvages, via le broyage ou le
pressage. Une partie de ces espèces pélagiques sont pêchées au large des
côtes de l’Afrique de l’Ouest. La pêche devient « minotière » (en opposition à la pêche alimentaire) ; les sardines et sardinelles deviennent du « poisson fourrage ».
Le thiof, ou mérou blanc, est plus rare sur les marchés sénégalais
Cette extraction accroît toujours plus la pression sur les ressources naturelles, dénoncent depuis de nombreuses années ONG, scientifiques, artisans pêcheurs. Selon la FAO, le volume de poissons qui finissent en poudre ou en liquide diminue, mais il correspondait encore à 20 % de la totalité des pêches de capture marines en 2020.
Aussi l’aquaculture, principale consommatrice de ces produits, constitue-t-elle une menace pour la sécurité alimentaire de toute une région. « Certaines espèces et certains produits utilisés dans les plats traditionnels, tels que le thiof (mérou blanc) et le yeet (escargot de mer fermenté), sont devenus plus difficiles à trouver sur les marchés locaux et ont commencé à disparaître de la cuisine sénégalaise », alertait par exemple la Fondation pour la justice environnementale (EJF) dans un rapport publié en octobre 2023. Un paradoxe quand l’aquaculture est souvent présentée par ses promoteurs comme la solution pour nourrir le monde face à la surexploitation des stocks de poissons.
Difficile de savoir ce que mange le saumon vendu en France
Les saumons consommés en France sont-ils nourris un peu, beaucoup ou pas du tout avec ces farines et ces huiles de poissons ? Reporterre a posé la question aux deux grandes marques de saumon fumé françaises, hors grande distribution. « Étant en pleine saison festive, il nous est très difficile de mobiliser les équipes pour pouvoir vous répondre », nous a expliqué l’attachée de presse de Labeyrie Fine Foods. Même réponse chez son concurrent Delpeyrat : « Nos équipes sont débordées à cette période. »
Finalement, l’association interprofessionnelle Adepale a pu nous
apporter certaines précisions. Pierre Commère, son délégué général
Industrie Poisson, rappelle que dans les années 1990, l’alimentation des
saumons d’élevage était constituée à 90 % d’aliments marins. « Depuis, cette proportion n’a cessé de diminuer pour atteindre 22,5 % en 2020 »,
explique-t-il. Moins d’un quart de ce que consomment les saumons
d’élevage serait donc aujourd’hui issu de poissons sauvages. Sauf dans
le cas du saumon Label rouge, précise Pierre Commère, puisque le cahier des charges impose un minimum de 51 % d’ingrédients d’origine marine.
Nous avons aussi posé la question à deux poids lourds de l’alimentation aquacole, le norvégien Mowi (qui commercialise aussi du saumon) et le danois Biomar. Aucun n’a répondu, malgré nos relances. On trouve toutefois des éléments d’information dans le rapport annuel 2021 de Mowi. « En 2021, 0,8 kg de poissons sauvages peu appréciés des consommateurs (comme l’anchois et la sardine) ont produit 1 kg de saumon d’élevage Mowi. » Un progrès quand on sait qu’il fallait compter 4 kg de poissons sauvages pour 1 kg de saumon dans les années 1990.
Dans les aliments tout prêts pour saumon, les protéines de poisson ont
peu à peu été remplacées par des protéines végétales, comme le blé, le
tournesol, le soja, les pois, le maïs. Les fabricants testent aussi des
sources protéiniques plus confidentielles, comme les algues ou les
insectes. Toutes ces alternatives présentent d’autres écueils, tels ceux
de la déforestation ou de la culture OGM. Mais les quatre principaux fabricants qui fournissent les élevages européens assurent travailler de concert pour garantir un soja brésilien responsable dans leurs produits.
Pour les acides gras (les fameux oméga-3), ils se tournent vers les huiles de colza, de lin, de soja… Pierre Commère de l’Adepale juge qu’on arrive à un seuil « qui n’est pas loin d’être incompressible ». En dessous de 22 %, l’apport en acides gras EPA et DHA serait trop réduit et le saumon perdrait en qualité nutritionnelle, selon lui.
Eaux troubles sur la provenance des farines
S’il y a moins d’ingrédients marins dans la ration des saumons,
encore faut-il savoir d’où ils viennent. Pour le saumon bio, c’est assez
simple : les aliments doivent être locaux. Aucune farine provenant de
poissons pêchés au large de l’Afrique de l’Ouest ne pourrait donc lui
être donnée. « Environ 30 % de ces farines sont fabriquées à partir des découpes de poisson, des déchets de filetage, de la peau, des arêtes, de la tête, dit Pierre Commère. Le
reste provient de poissons sauvages pêchés, par exemple, au large du
Danemark, comme le lançon, le merlan bleu ou encore le maquereau. »
Mais les farines et huiles ingurgitées par les saumons non bio,
elles, peuvent venir de tous les coins de la planète. Dans son rapport,
Mowi écrit de façon laconique : « Nous nous sommes approvisionnés en une forte proportion d’ingrédients marins de l’hémisphère nord en 2021. » D’après les chiffres qu’il fournit, plus de 91 %
de sa farine provenait en effet de l’Atlantique Nord-Est. Du côté de
l’huile, la moitié avait été importée du Pérou et du Chili. Seulement 5 % était originaire d’Afrique de l’Ouest, en l’occurrence extraite de la sardine de Mauritanie.
Le Pérou, plus gros exportateur de farine et d’huile d’anchois, est dépendant d’une ressource fluctuante : « Il peut y avoir des gros écarts de capture d’une saison à l’autre. Le phénomène El Niño influe beaucoup », précise le délégué général au sein de l’Adepale. Pour preuve, la saison de la pêche à l’anchois a été catastrophique cette année en raison des eaux trop chaudes. Dans cette situation, les producteurs de farine doivent pouvoir se tourner vers d’autres fournisseurs. Se servent-ils alors en plus grande quantité dans les eaux africaines ?
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