Comment les choix linguistiques des médias minimisent les souffrances des Palestiniens
Les linguistes expliquent que l’utilisation par les médias de la voix passive et le choix de la terminologie sont utilisés comme une arme par Israël. Ils contribuent aussi à minimiser les crimes à Gaza
L’utilisation des mots et les choix terminologiques sont importants lorsqu’il s’agit de rendre compte d’événements mondiaux, avec des mots porteurs de sens qui ont le pouvoir d’émouvoir ou de changer l’opinion, d’impliquer ou de suggérer des images, et parfois de minimiser l’ampleur de ce qui se passe.
C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des relations entre Israël et la Palestine, les militants et les défenseurs des droits de l’homme interpellant fréquemment les organes de presse pour leurs choix linguistiques et leur utilisation de la voix passive.
Depuis le début des dernières hostilités à Gaza, le 7 octobre, l’accent a été mis sur la terminologie utilisée par divers organes de presse, commentateurs et reporters dans leur couverture.
Euphémismes
Lara Gibson, écrivaine et linguiste basée en Égypte, affirme que cela déshumanise souvent les victimes palestiniennes.
« Dans les médias occidentaux, nous avons vu à plusieurs reprises des Palestiniens décrits à la voix passive, déshumanisant les victimes en leur enlevant leur autonomie. Dans le même temps, Israël est généralement décrit à la voix active, ce qui laisse entendre aux lecteurs occidentaux qu’ils peuvent se rallier à la cause israélienne et justifier leurs actions », indique-t-elle à MEE.
Abdulkader Assad abonde en son sens, précisant qu’en plus de déshumaniser la souffrance des Palestiniens, cela peut aussi minimiser les crimes israéliens.
« Les médias occidentaux utilisent délibérément des “euphémismes”, masquant la vérité des mots durs qui expriment les actes de crimes de guerre israéliens », avance-t-il.
« Lorsque les médias occidentaux utilisent la voix passive, ils ignorent intentionnellement le principe du “qui” a fait “quoi” à “qui”, lequel est nécessaire pour qu’une information soit complète. Ils utilisent la voix passive pour éluder la vérité et faire en sorte que les crimes de guerre israéliens paraissent douteux. »
Abdulkader Assad cite un exemple de Reuters, affirmant que l’agence de presse a « laissé les forces israéliennes s’en tirer à bon compte » dans sa couverture de l’assassinat du photojournaliste de l’agence de presse, Issam Abdullah, le 13 octobre.
Reuters titrait : « Issam Abdallah, vidéaste de Reuters, a été tué alors qu’il travaillait dans le sud du Liban. »
« De cette façon, les lecteurs ne savent pas qui a tué Issam, et bien sûr, cela sert à masquer le fait que les forces israéliennes ont tué le journaliste. Une fois que les lecteurs ont vu ce titre, ils ont “assimilé” le fait qu’un journaliste a été tué, mais sans graver dans leur esprit le criminel qui l’a fait », poursuit Assad.
Certains mots en particulier ont émergé au cours de la couverture actuelle et ont été largement considérés comme problématiques soit parce qu’ils suggèrent une équivalence entre l’armée israélienne et le Hamas, soit parce qu’ils utilisent un vocabulaire ambigu pour rejeter la responsabilité.
« Plusieurs grandes publications ont délibérément utilisé un vocabulaire vague pour décrire les attaques dévastatrices contre Gaza, mais le vocabulaire pour décrire les attaques contre Israël du 7 octobre était incroyablement clair et descriptif – soutenant implicitement la cause israélienne »
- Lara Gibson, linguiste
« Plusieurs grandes publications ont délibérément utilisé un vocabulaire vague pour décrire les attaques dévastatrices contre Gaza, mais, en revanche, le vocabulaire pour décrire les attaques contre Israël du 7 octobre était incroyablement clair et descriptif – soutenant implicitement la cause israélienne », assure Laura Gibson.
« Des termes comme “guerre” suggèrent une lutte d’égal à égal plutôt qu’un génocide alimenté par Israël », observe-t-elle.
La définition d’Oxford Languages de la guerre est « un état de conflit armé entre différents pays ou différents groupes à l’intérieur d’un pays ».
Selon un rapport d’Axios publié plus tôt cette année, Israël dispose d’un budget militaire annuel de plus de 20 milliards de dollars et d’un accès à certains des équipements militaires américains les plus avancés. Israël contrôle également le ciel et une grande partie de la mer autour de son territoire.
Israël prétend être à Gaza pour « éliminer le Hamas ». Cependant, les soldats ont utilisé des bombes non guidées, des frappes de drones et des bulldozers pour cibler des civils.
« Mourir » au lieu d’« être tué »
Pendant ce temps, la branche armée du Hamas, les brigades al-Qassam, s’appuie sur des stratégies de guérilla utilisant des roquettes, des tireurs embusqués et des explosifs artisanaux.
L’utilisation du terme « guerre » implique donc que les brigades
al-Qassam et Israël détiennent un pouvoir similaire, et que Gaza est un
pays au lieu d’une enclave assiégée, obscurcissant ainsi la nature de la
violence qui se déroule, affirme Laura Gibson.
« Le terme “combattant du Hamas” a été utilisé comme une arme par
Israël, qui utilise ce mot de manière abondante pour justifier le
massacre de civils palestiniens », selon elle.
Certains organes de presse ont également choisi d’utiliser le terme « combattants de Gaza », ce qui risque de provoquer la confusion entre la population de l’enclave assiégée et ceux qui mènent les attaques, et crée une association négative avec les civils qui s’y trouvent.
Abdulkader Assad pense que cela peut aller jusqu’à l’euphémisme.
« Il s’agit d’un mot ou d’une phrase qui adoucit un sujet inconfortable. C’est l’utilisation d’un langage figuré pour faire référence à une situation sans avoir à l’affronter », explique-t-il.
Un exemple largement utilisé est d’utiliser le mot « mourir » au lieu d’« être tué », dit-il, à l’image de ce qui est apparu dans un titre de la BBC le 19 décembre.
Certains ont également souligné que des termes et des expressions inexacts ont également été utilisés au cours de la couverture actuelle.
L’un de ces exemples est de se référer au ministère palestinien de la Santé comme le « ministère de la Santé du Hamas » lorsqu’il cite divers rapports sur les victimes.
Le titre n’est pas exact, car le mouvement du Hamas n’est pas impliqué dans la documentation du ministère et le ministère travaille en étroite collaboration avec d’autres responsables qui supervisent les rapports basés dans la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, y compris la ministre de la Santé, le Dr Mai al-Kaila.
L’attribution au Hamas a même amené certaines personnes, dont le président américain Joe Biden, à remettre en question la validité et la fiabilité des chiffres publiés par le ministère.
Le Conseil des relations américano-islamiques a appelé Biden à s’excuser pour ses « commentaires choquants et déshumanisants » alors qu’il avait déclaré n’avoir aucune confiance en ces chiffres.
Le ministère de la Santé s’est également avéré fiable en ce qui concerne les documents qu’il a publiés, à la suite de doutes sur le nombre de personnes tuées après le bombardement par Israël de l’hôpital al-Ahli al-Arab, énumérant les noms complets et les informations relatives aux personnes tuées.
Les renseignements fournis dans le document donnaient des analyses qui comprenaient des renseignements permettant d’identifier chaque personne.
Le rapport contenait les noms de 7 028 personnes, ainsi que leur sexe, leur âge et leur numéro d’identification.
De nombreux experts considèrent que les chiffres fournis par le ministère palestinien sont fiables, compte tenu de son accès, de ses sources et de l’exactitude de ses déclarations passées.
Omar Shakir, directeur de la division Israël et Palestine à Human Rights Watch, a déclaré au Washington Post que les chiffres du ministère « s’avèrent généralement fiables ».
« À l’époque où nous avons fait notre propre vérification des chiffres
pour certaines frappes, je ne suis pas au courant d’un moment où il y a
eu une divergence majeure », a-t-il ajouté.
Commentaires
Enregistrer un commentaire