Vue de Washington : le « discours sur l’Europe » de Macron n’est pas une recette gagnante
Photo : FT
Il s'agit d'un discours majeur du président français Emmanuel Macron (photo). La presse affirme que Macron propose un « nouvel ordre mondial ». En réalité, Macron se présente comme le « nouveau » leader de l'Europe et il appelle à un renforcement économique, technologique, idéologique et militaire de l'Europe. Il s'exprimait lors de la Rencontre internationale pour la paix de Sant'Egidio, qui s'est tenue à Paris. Macron s'est exprimé le 22 septembre.
L'ÉLYSÉE, le palais présidentiel français, a rendu public le texte du discours en anglais, intitulé « Discours sur l'Europe ».
Le discours de Macron consacre une grande partie de son temps à la volonté de voir l’Europe renforcer ses capacités de défense, mais il n’évoque pas l’épuisement significatif des stocks de matériel de guerre en Europe, dont la plupart ont été envoyés en Ukraine. Il n’évoque pas non plus l’énorme duplication de la production de défense dans les pays européens. Les tentatives de consolidation des industries de défense européennes n’ont eu que des succès modestes, note Stephen Bryen, ancien sous-secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis.
Macron souhaite voir une augmentation importante des capacités de défense aérienne de l’Europe, mais ces systèmes sont coûteux et il n’existe pas d’accord à l’échelle européenne sur la standardisation des produits de défense aérienne ou même leur intégration.
Macron n’évoque pas non plus les effectifs militaires européens, même s’il plaide pour que l’Europe remplace les États-Unis en termes de responsabilité de défense de l’Europe. Comparées à la Russie, les armées européennes sont généralement petites. Si les exercices de l’OTAN tentent d’améliorer le déploiement et la coordination des combats, il reste des obstacles majeurs à surmonter, notamment la standardisation des équipements (y compris les munitions) et des communications. De même, l’acheminement des troupes, de l’équipement et des fournitures sur le champ de bataille reste un défi logistique important. La seule référence aux troupes dans le discours de Macron est sa proposition de relancer les efforts pour constituer une force de réaction rapide de 5 000 hommes, mais son objectif réel est obscur.
Macron veut que l'Europe soit un leader technologique. Il évoque l'énergie (hydrogène), la technologie des batteries, les semi-conducteurs et l'intelligence artificielle, ainsi que la stimulation des investissements. Malheureusement, l'Europe est à la traîne dans les technologies de pointe, manque d'une mentalité d'investissement « start-up » et renvoie presque tout à l'UE, y compris les investissements.
Pendant de nombreuses années, l’économie européenne a été soutenue par l’énergie bon marché de Russie et du Moyen-Orient et par les centrales nucléaires. L’énergie bon marché (pétrole et gaz naturel) de Russie a pratiquement disparu, ce qui signifie que les substituts viennent soit des États-Unis (sous forme de GNL) soit d’autres sources d’énergie (les « vertes »). Alors que la France a conservé son nucléaire, l’Allemagne et l’Italie ont fermé leurs centrales nucléaires et arrêté d’utiliser du charbon. La composante énergétique des produits européens est désormais beaucoup plus chère, ce qui rend les produits déjà hors de prix (commerciaux et de défense) encore plus coûteux. Il n’y a rien d’autre qu’une question d’idéologie dans les propositions de Macron.
La tentative de Macron de prendre le leadership européen ne sera pas couronnée de succès, même s’il reste au pouvoir. Les pays européens dépenseront certes davantage pour leur défense, mais tous sont en retard sur le plan technologique et industriel, et la plupart d’entre eux doivent remplacer des armes dont les stocks sont aujourd’hui désespérément insuffisants. Parler de la construction par l’Europe d’avions de combat de sixième génération ou de nouvelles générations de chars ne fera qu’engloutir des budgets cruciaux, tout comme les deux nouveaux porte-avions britanniques masquent le fait que son armée est faible et mal approvisionnée.
Sans les États-Unis, l’OTAN se dissoudrait probablement et l’« expérience » européenne (si on peut l’appeler ainsi, même si c’est surtout un vœu pieux) prendrait fin.
Le discours proposait de « repenser » les relations avec la Russie, mais seulement après que l’Ukraine aura gagné sa guerre contre elle. Ensuite, selon Macron, l’Ukraine deviendra membre de l’UE avec la Moldavie, et d’autres pays des Balkans occidentaux seront également intégrés dans le giron de l’UE. (Les Balkans occidentaux comprennent l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, le Kosovo, la Macédoine du Nord et la Serbie.) Macron a omis d’appeler à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
En dehors de cela, il n’y a pas un mot sur un règlement négocié du conflit ukrainien, et aucune ouverture d’aucune sorte concernant la Russie. Bref, bien que la conférence soit annoncée comme « Imaginer la paix », alors que Macron dit qu’il « se bat pour la paix », son discours porte sur les préparatifs de guerre.
Macron vient de nommer un nouveau cabinet conservateur qui a déclenché une controverse politique majeure en France. La plupart des sujets abordés concernent des questions sociales, pas la guerre en Ukraine ni d'autres questions économiques, industrielles ou militaires.
Les deux grandes puissances européennes, l’Allemagne (pour des raisons économiques) et la France (pour ses armes nucléaires), traversent des crises économiques et politiques. Macron et Scholz, les deux dirigeants actuels, pourraient facilement perdre leur poste s’ils ne parviennent pas à enrayer la spirale descendante économique dans leurs pays respectifs et à consolider leur leadership politique dans leur pays. Dans son discours, Macron a suggéré que les armes nucléaires françaises pourraient faire partie d’un nouvel ordre de sécurité européen. Avant la suggestion de Macron, la France avait toujours affirmé qu’elle possédait une force de dissuasion nucléaire pour sa protection. Ses armes nucléaires ont toujours été considérées comme étant en dehors de tout cadre européen et en dehors de l’OTAN.
La France prévoit d'augmenter son budget militaire, même s'il restera plutôt modeste. Selon le plan présenté par Macron, le budget de la défense français augmentera de 3,1 milliards d'euros dans le budget 2024, de 3 milliards d'euros en 2025, 2026 et 2027, et de 4,3 milliards d'euros en 2028, 2029 et 2030. D'ici 2030, le budget annuel de la défense de la France devrait dépasser les 60 milliards d'euros, soit près du double du montant alloué en 2017, qui s'élevait à 32 milliards d'euros.
Les Allemands affirment que leur budget de défense atteindra 80 milliards d'euros d'ici 2028, mais cela est peu probable compte tenu des problèmes économiques du pays et du fait que le pays est actuellement en récession. Actuellement, le budget de la défense allemand s'élève à 59,89 milliards d'euros.
À titre de comparaison, le budget de la défense des États-Unis (y compris le nucléaire) s’élève à 883,7 milliards de dollars.
Macron ne s'attaque pas à l'épuisement considérable des stocks de matériel de guerre en Europe. Il ne s'attaque pas non plus vraiment à l'énorme duplication de la production de défense dans les pays européens. Les tentatives de consolidation des industries de défense européennes n'ont eu, au mieux, qu'un succès modeste.
La tentative de Macron de prendre le leadership européen ne sera pas couronnée de succès, même s’il reste au pouvoir. Les pays européens dépenseront davantage pour leur défense, mais tous sont en retard sur le plan technologique et industriel, et la plupart d’entre eux doivent remplacer des armes dont les stocks sont aujourd’hui désespérément insuffisants. Parler de la construction par l’Europe d’avions de combat de sixième génération ou de nouvelles générations de chars ne fera qu’engloutir des budgets cruciaux, tout comme les deux nouveaux porte-avions britanniques masquent le fait que son armée est faible et mal approvisionnée. Sans les États-Unis, l’OTAN se dissoudrait probablement et l’« expérience » européenne (si on peut l’appeler ainsi, même si c’est surtout un vœu pieux) prendrait fin, conclut Stephen Bryen.
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