Psys, médics... Depuis Sainte-Soline, la culture du soin irrigue les luttes

 De : https://reporterre.net/Psys-medics-Depuis-Sainte-Soline-la-culture-du-soin-irrigue-les-luttes

25 mars 2025 à 09h40 Mis à jour le 26 mars 2025 à 09h35



Après la violente répression de la mobilisation de Sainte-Soline il y a deux ans, les collectifs écologistes ont renforcé une culture du soin. Entre soutien psychoémotionnel, assistance légale et inclusivité.

« Il y a clairement eu un avant et un après Sainte-Soline dans le soin militant », notamment sur l’entraide psychologique, observe Sasha [*], qui a cofondé le collectif Diffraction en 2016, proposant des ressources en ligne et des formations à prix libre sur le soin dans la lutte. La violente répression de la mobilisation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les mégabassines a blessé 200 manifestants, dont 20 ont été hospitalisés. Touché à la tête par une grenade, Serge a été un mois dans un coma artificiel, avant d’entamer une longue rééducation. Une expérience qui a poussé les luttes écologistes à structurer leur réflexion sur le soin, face aux traumatismes et au risque d’épuisement des militants.

« Il y a eu une mise en réseau des psychologues professionnels et des militantes et militants qui étaient formés à de l’écoute », explique Sacha. Une ligne d’écoute avait d’ailleurs été mise en place pour accompagner et orienter les personnes en état de choc après la manifestation. 

« Face à ce moment clé dans le processus de brutalisation des mobilisations sociales, la question du soin est devenue cruciale », constate la sociologue Hélène Stevens, coordinatrice de l’ouvrage Avoir 20 ans à Sainte-Soline (éd. La Dispute, 2024).

Une « base soin »

Après Sainte-Soline, plusieurs pratiques se sont davantage systématisées, comme les ateliers de création de groupes affinitaires, des personnes de confiance agissant ensemble lors d’une action ou d’une manifestation. « C’est le bon format pour que les participantes et participants se sentent sécurisés, qu’ils puissent se poser la question des risques physiques et juridiques qu’ils sont prêts à prendre, de leurs limites psychologiques et de leurs besoins émotionnels », estime Noé [*], membre du collectif Diffraction.

La constitution d’une « base soin » est aussi devenue un réflexe à l’occasion de nombreuses mobilisations. Elle est composée de différents pôles qui traduisent une vision transversale du soin, allant des « médics » et du soutien psychoémotionnel, à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou contre le validisme, en passant par l’accompagnement juridique de la « legal team », ou encore une « bambinerie » pour l’accueil des enfants.

Lire aussi : Mégabassines : à Sainte-Soline, garderie et psychologues en soutien des manifestants

L’idée de cette « base arrière », mise en place lors de la mobilisation de Sainte-Soline de mars 2023, est née du constat fait par les militants lors de la première manifestation des Soulèvements de la Terre contre cette même bassine, en octobre 2022. « Il y avait déjà eu 70 blessés. On avait fait dans l’urgence, de façon peu coordonnée. C’est aussi là, face aux nombreux blessés, qu’on s’est dit qu’on avait besoin de soins psys », explique Alix [*], qui participait à la coordination de la base soin de Sainte-Soline.

« On a vu que ça nous faisait du bien »

Au Village de l’eau de Melle, en juillet dernier, une « écoute traumatique » était disponible à l’infirmerie et le pôle psychologique proposait des ateliers sur le psychotraumatisme. « On a réalisé beaucoup d’écoutes, en particulier des personnes qui avaient été à Sainte-Soline et pour lesquelles la présence des hélicos et des contrôles policiers réactivait beaucoup de choses », se souvient Lombric [*], psychologue clinicienne qui participait au pôle psy du Village de l’eau.

Boîte à outils du soutien psychologique

Ces dispositifs reposent très largement sur l’autoformation des militants, ainsi que sur des personnes mettant à disposition leurs connaissances professionnelles. Après avoir suivi de nombreuses formations « chères et peu inclusives » sur « la communication non violente, la guérison des traumas ou la gestion des conflits », Sasha partage ces outils dans le milieu militant pour se les « réapproprier »

L’expérience de Sainte-Soline a « impulsé la création de plusieurs collectifs de soutien psy en France, et permis à des initiatives qui existaient déjà de se remobiliser », se félicite Jean [*], membre du collectif de soutien psy d’Occitanie. Les nouveaux groupes se sont mis en réseau avec les anciens, comme le collectif Psy Psy du plateau des Millevaches, dans le Limousin, ou Soutien et Rétablissement, actif dans plusieurs pays européens, dont la France depuis fin 2023. « D’un coup, tout ce qu’on avait théorisé en tâtonnant dans notre coin s’est globalisé », constate Lombric, membre de la Psycho-Team d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui réunit des psychologues cliniciens pour proposer un soutien gratuit aux activistes.

Un blessé lors de la manifestation de Sainte-Soline, le 25 mars 2023. © Jerome Gilles / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Des erreurs et expérimentations initiales sont nés une expertise et des outils formalisés. « Après Sainte-Soline, on a bricolé une session de débrief émotionnel. On a vu que ça nous faisait du bien », se souvient Maya [*], militante contre l’autoroute A69. Elle a depuis rejoint le collectif Soutien Psy d’Occitanie (Spocc) qui opère sur la zad et les mobilisations contre l’A69. Avec d’autres groupes de soutien psychologique, ils ont élaboré « des outils testés, qui peuvent être réutilisés et complétés, pour réaliser ces débriefs », permettant aux militants de partager leur vécu des actions et manifestations.

Prendre soin est politique

S’ils ne se substituent pas à l’accompagnement de professionnels, puisqu’ils ne proposent pas de prise en charge longue type psychothérapie, ces collectifs offrent une première écoute précieuse pour les activistes, avec « une reconnaissance de la légitimité et du vocabulaire de l’engagement qui anime la personne au quotidien », explique Lombric, de la Psycho-Team d’Auvergne Rhône-Alpes.

« Dans le soin militant, plutôt que de responsabiliser l’individu face à son traumatisme à la suite d’une manifestation, on va d’abord désigner la cause de la blessure qui est la répression », développe la sociologue Hélène Stevens.

Cette culture du soin cherche à considérer les oppressions systémiques, en traquant le sexisme, le racisme, le classisme ou le validisme, dont les organisations en lutte ne sont pas exemptes, afin de les rendre plus « inclusives ». « On part du constat qu’on hérite d’une culture dominante maltraitante, et qu’en luttant contre ce système qui malmène le vivant, il faut qu’on apprenne à s’organiser sans reproduire ces oppressions », résume Jean, membre d’Extinction Rebellion en Ariège. 

Davantage de répression

Le soin apparaît d’autant plus nécessaire aujourd’hui pour « pérenniser les luttes », qu’infliger des traumatismes et épuiser les militants semble être devenu une stratégie de l’État. Sur la lutte contre l’A69, entre Toulouse et Castres, l’Observatoire toulousain des pratiques policières avait ainsi pu observer que « l’isolement » et le « harcèlement » des « écureuils » — les militants qui occupaient les arbres — avaient été utilisés pour « les briser physiquement et psychiquement ».

De même, à Sainte-Soline, « on a compris qu’il y avait une volonté politique d’utiliser la sidération comme une arme contre les participantes et participants », observe la psychologue clinicienne Lombric.

Lire aussi : Dans les sous-sols de l’antiterrorisme, l’enfer de militants écologistes

Le soin doit alors être mobilisé tant en anticipation qu’en réaction à une répression policière violente, de même que dans le suivi des pressions judiciaires sur les activistes. Il s’avère crucial lorsque des activistes sont interpellés brutalement et placés en garde à vue, jusque dans les sous-sols de la Sous-direction antiterroriste, et lorsqu’ils se retrouvent en procès. Ce sont les « legal team » qui s’en chargent, désormais pleinement intégrées dans les « bases soin » au cours des événements.

« Plus on enseigne aux gens leurs droits, plus en face ils prennent ça comme une préparation à la confrontation, alors qu’on agit en réaction pour s’en protéger », souligne Alix, qui participait à la coordination de la base soin de Sainte-Soline. Face à l’intensification de sa répression, l’État semble lui-même percevoir le soin comme une arme décisive des luttes. C’est par le soin, concluent les philosophes Sophie Gosselin et David gé Bartoli dans l’ouvrage collectif On ne dissout pas un soulèvement (éd. Seuil, 2023), que les luttes peuvent « transformer [leur] vulnérabilité en puissance commune et la blessure de l’événement en métamorphose collective ».

* prénom modifié

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Jacques Attali : "L'avenir de la vie" 1981 - Extrait .....et rectifications

Comment se débarrasser de l'oxyde de graphène des vaccins

Nous avons désormais la preuve que les vaccins COVID endommagent les capacités cognitives