Pour renforcer l’agriculture paysanne, des bénévoles belges investissent les champs

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19 novembre 2024  

En Belgique, les Brigades d’action paysanne organisent des chantiers participatifs pour aider des fermiers. Une solidarité militante qui vise à « changer le rapport de force » en faveur d’une agriculture respectueuse de l’environnement.

Rotheux-Rimière, Esneux (Belgique), reportage

En ce samedi matin brumeux, six bénévoles s’activent sous les serres de la ferme Larock, nichée dans le village de Rotheux-Rimière, en province liégeoise. Tandis que Mélissa, Florence, Alexandra et Éric démêlent les haricots à rame des filets afin de les extirper, Marieke et Léna creusent des rigoles à la pelle avec Simon, qui s’occupe du jardin maraîcher, puis ratissent et aplanissent les mottes de terre déposées sur le côté. Les planches de culture enfin prêtes, le groupe entier se met à repiquer 1 800 plants de mâche dans la terre fraîchement travaillée.

À 5 kilomètres de là, dix autres bénévoles s’affairent l’après-midi à la ferme de Beauregard, dans la commune d’Esneux. Munis de sécateurs, ils et elles séparent les courges de leurs tiges drues et piquantes, les soulèvent et les placent délicatement dans les cagettes. En une demi-heure, la récolte est pliée.

Sans attendre, le groupe s’attelle à sa mission suivante : arracher les plants de tomates des serres. Ce travail, plus méticuleux — il faut couper les pieds, retirer les pinces, cueillir les fruits encore mûrs, regrouper les tuteurs au fond des rangs —, prend deux bonnes heures. Durant lesquelles Maxime, le maraîcher, enchaîne les allers-retours pour vider les brouettes.






Mélissa démêle les haricots à rames des filets, à la ferme Larock. © Jeanne Fourneau / Reporterre

Originaires du coin ou venus de plus loin, la plupart de ces bénévoles ont répondu à l’appel des Brigades d’action paysanne (BAP), un réseau citoyen belge d’appui à l’agriculture paysanne et au mouvement pour la souveraineté alimentaire. Impulsées en 2017 par le réseau de soutien à l’agriculture paysanne (RéSAP) et coordonnées par deux ONG (Quinoa et Fian Belgium), les BAP sont nées « du constat qu’il manquait du lien entre les mangeurs et les agriculteurs », explique Marie-Hélène Lefèvre, membre des BAP et chargée de plaidoyer et mobilisation chez Fian.

Pour combler ce manque, le réseau citoyen a lancé des chantiers participatifs dans les fermes paysannes, agroécologiques ou en transition vers un modèle durable. Des fermes généralement à petite échelle, ancrées localement, aux pratiques agricoles respectueuses des sols et du vivant.



Marieke en train d’aplatir les planches de culture. © Jeanne Fourneau / Reporterre

« Les BAP [dont le nom fait référence aux brigades internationales qui, durant les années 1930, luttaient contre le fascisme en Espagne] se réclament militantes car on a conscience qu’on doit combattre un système qui dévore petit à petit l’agriculture paysanne et la fait disparaître », poursuit Marie-Hélène.

68 % de fermes en moins depuis 1980

Entre 1980 et 2019, la Belgique a perdu 68 % de ses fermes, dont la superficie moyenne a triplé durant la même période. Le nombre de travailleurs et travailleuses agricoles en Wallonie a quant à lui diminué de moitié depuis 1990, selon l’institut national de statistiques Statbel et le site État de l’agriculture wallonne.

À cela s’ajoutent les bouleversements climatiques dont les agriculteurs font largement les frais. C’est notamment le cas de Simon Elias. Natif de la Hesbaye, il a longtemps vécu à Bruxelles avant d’« opérer une transition » et de se tourner vers le travail de la terre, poussé par le « besoin de revenir à l’essentiel ».



Le maraîcher Simon Elias présente sa grelinette, qui permet d’ameublir la terre avant de semer ou planter. © Jeanne Fourneau / Reporterre

D’abord animateur bénévole dans un jardin social le long de l’Ourthe, il a atterri à la ferme Larock après que les inondations de juillet 2021 aient tout « ruiné ». En 2022, il a créé l’association sans but lucratif (ASBL) Sous l’arbre, pour prendre soin du jardin maraîcher. Mais depuis, les galères continuent. Cette année, « sur 1 ha 20, j’ai abandonné 80 ares à cause des conditions extrêmes en termes d’humidité », raconte-t-il.

Pas un seul des 900 choux qu’il avait plantés avec des écoliers n’a survécu aux limaces, qui ont également englouti 15 ares de luzernes. Le passage récent de la dépression Kirk ayant trempé les sols, Simon a dû revoir le programme du jour, qui prévoyait la récolte de pommes de terre en plein air. Devant l’engagement des participants, il se montre reconnaissant : « Merci d’être là pour nous aider. Si vous repassez quand tout aura poussé, venez goûter à la mâche », leur lance-t-il, tout souriant.



À la ferme de Beauregard, les bénévoles ramassent des courges. © Jeanne Fourneau / Reporterre

La joie irradie aussi le visage de Maxime Leroy face à l’entrain des bénévoles et à l’efficacité des chantiers, « fun à faire à plusieurs », dit-il. Fils de profs d’éducation physique, il a appris le métier de maraîcher « sur le tas » aux côtés d’un professionnel à Spa, et en parallèle de ses études d’agronomie.

« Les BAP s’occupent de toute la logistique pendant que nous, on est dans les champs »

En 2019, il a lancé, avec quatre autres personnes, la ferme de Beauregard autour de plusieurs activités — maraîchage bio, arboriculture fruitière, élevage de poules pondeuses. Les brigades, Maxime les a seulement découvertes l’année passée.

« Pour des agriculteurs qui ont le nez dans le guidon en pleine saison, c’est super facile. Il suffit de décider d’une date et d’une tâche, et les BAP s’occupent de faire la com’ et toute la logistique pendant que nous, on est dans les champs », se réjouit le maraîcher.



Maxime Leroy, maraîcher à la ferme de Beauregard, se réjouit de l’aide apportée par les BAP. © Jeanne Fourneau / Reporterre

La ferme compte pourtant déjà sur un groupe de coopérateurs s’impliquant bénévolement chaque semaine. « Comme la coopérative existe depuis quatre ans, l’engouement du début s’est un peu essoufflé », confie Maxime. Les BAP ramènent donc un vent nouveau et puis, sans elles, « je n’aurais jamais pu toucher des gens de Bruxelles ».

Parmi les bénévoles présents ce jour-là, beaucoup viennent en effet de la ville. Et beaucoup soutiennent, à leur manière, l’agriculture locale et paysanne. Comme Élodie, qui travaille pour la compagnie de théâtre Adoc, qui est à l’initiative du festival Nourrir Bruxelles. « Dans ce cadre, je collabore avec les BAP et j’avais envie d’un peu de concret », dit-elle.



Avec le coup de main des bénévoles, la récolte des tomates est beaucoup plus efficace. © Jeanne Fourneau / Reporterre

Ou Mélissa et Florence qui prennent leurs légumes en autocueillette à la ferme des Cinq branches, à Soumagne. C’est là-bas, lors d’un chantier, qu’elles ont entendu parler des BAP, et qu’elles ont voulu « s’y intéresser de plus près, plutôt que sur Instagram », dit Florence, fromagère de métier.

Consciente des conditions de travail difficiles, Mélissa, qui étudie l’agronomie, désirait aussi « comprendre les techniques agricoles » et « aider pour favoriser ces activités ». Pour Alexandra, étudiante en architecture à Liège, « passionnée par l’alimentation et les producteurs », participer à ces chantiers permet de se « changer les idées ». Éric, lui, suit une formation en permaculture après avoir exercé comme « indépendant en toiture », et voudrait créer un « jardin qui nourrit et soigne ».



Louis, fondateur de la ferme Larock, prépare la soupe pour les brigadiers. © Jeanne Fourneau / Reporterre

En plus d’apporter « un soutien concret aux agriculteurs », les chantiers participatifs offrent des moments de partage entre fermiers et bénévoles, autant d’occasions de discuter et d’aborder certains sujets… Marieke, d’origine flamande, en profite pour comprendre les enjeux politiques. « Sens-tu une différence avec le nouveau gouvernement wallon ? » [1] demande-t-elle à Simon, un râteau à la main. « Il y a de l’inertie. […] Dans un marché mondialisé, [les producteurs wallons] sont déclassés. On a besoin d’une agriculture locale, là où on mange et où on produit », répond ce dernier.

« Si on ne change pas le rapport de force, les agriculteurs continueront à se faire écraser »

Cesser d’octroyer de l’argent public à l’agrobusiness et à la malbouffe pour, à la place, favoriser l’agriculture paysanne et relocaliser l’alimentation : voici les revendications portées par les Brigades d’action paysanne à travers des mobilisations politiques. « Un coup de main sur le terrain, c’est précieux, mais si on ne change pas le rapport de force structurellement, les agriculteurs continueront à se faire écraser par le système dominant. Il faut allier la force des citoyens avec celle des agriculteurs si on veut manger un jour de la nourriture qui soit saine et qui rémunère justement celles et ceux qui la produisent », plaide Marie-Hélène Lefèvre.

Des actions publiques de désobéissance civile sont parfois menées en solidarité avec des associations et syndicats. Le 17 avril dernier, journée mondiale des luttes paysannes, une manifestation suivie par la plantation de pommes de terre sur une parcelle menacée par un projet d’agrivoltaïsme fut menée à Aiseau-Presles, « pour rappeler que la fonction première de ces terres doit être de nous nourrir », dit la brigadiste.


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