Un tribunal français ordonne la libération d'un militant politique libanais emprisonné depuis 40 ans
Un tribunal français a ordonné vendredi la libération du militant libanais pro- palestinien Georges Ibrahim Abdallah, le plus ancien prisonnier politique d'Europe, après 40 ans de prison.
Abdallah, un ancien guérillero du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), a été condamné à la prison à vie en 1987 pour son implication présumée dans les meurtres en 1982 de l'attaché militaire américain Charles Robert Ray et du diplomate israélien Yacov Barsimantov.
L'homme de 73 ans a fait appel de sa condamnation à 11 reprises depuis qu'il est devenu éligible à la libération conditionnelle en 1999.
Le tribunal a déclaré que le militant communiste serait libéré le 6 décembre à condition qu'il quitte la France et n'y revienne pas, ont indiqué les procureurs antiterroristes français dans un communiqué à l'AFP.
Les procureurs ont déclaré qu'ils feraient appel de la décision du tribunal, laissant incertaine la date de la libération d'Abdallah.
L'activiste libanais, né dans une famille chrétienne du village de Koubayat, dans le nord du pays, a longtemps affirmé qu'il n'était pas un « criminel » mais « un combattant » qui se battait pour les droits des Palestiniens.
« Le chemin que j'ai suivi a été dicté par les violations des droits de l'homme perpétrées contre la Palestine », a-t-il déclaré aux juges lors de son dernier appel en demande de libération.
Blessé en 1978 lors de l'invasion du Liban par Israël, Abdallah, professeur de lycée, rejoint le FPLP marxiste-léniniste, qui mène une série de détournements d'avions dans les années 1960 et 1970.
Un an plus tard, Abdallah a fondé avec ses frères et cousins son propre groupe armé pro-palestinien, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (LARF). Le groupe a eu des contacts avec d'autres groupes armés d'extrême gauche, notamment Action directe en France, les Brigades rouges en Italie et la Fraction armée rouge allemande (RAF).
Le groupe marxiste anti-israélien libanais a revendiqué la responsabilité de cinq attentats, dont quatre en France en 1981 et 1982.
« L'honneur d'être accusé »
En 1986, Abdallah est condamné à Lyon à quatre ans de prison pour association de malfaiteurs et détention d'armes et d'explosifs. Il est jugé l'année suivante pour complicité d'assassinat de Ray et Barsimantov, ainsi que pour la tentative d'assassinat d'un troisième diplomate américain en 1984.
Lors du procès pour meurtre, l'une des sources des services secrets français était l'avocat d'Abdallah, Jean-Paul Mazurier, qui a révélé plus tard qu'il était un agent de renseignement.
Devant le tribunal, Abdallah a nié l'accusation mais a déclaré : « Si le peuple ne m'a pas confié l'honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m'attribuez, au moins j'ai l'honneur d'en être accusé. »
Abdallah a ensuite été condamné à la prison à vie, une peine bien plus sévère que la peine de 10 ans requise par le procureur général.
Son avocat, Jacques Verges, qui a déjà défendu des clients comme le militant vénézuélien Carlos le Chacal, a vu dans ce verdict « une déclaration de guerre ».
Un comité de soutien s'est immédiatement formé, exigeant la « libération immédiate » d'Abdallah.
Le plus ancien détenu en France n'a jamais exprimé de regrets pour ses actes.
"Il se porte bien intellectuellement. C'est un militant. Il campe sur ses positions, lit beaucoup et se tient très informé de ce qui se passe au Moyen-Orient. On lui écrit du monde entier", avait déclaré à l'AFP en 2022 son avocat, Me Jean-Louis Chalanset.
« Une victoire politique »
«Je suis victime d'une décision politique», a déclaré Abdallah peu avant le verdict vendredi.
Washington s’est toujours opposé à la libération d’Abdallah, tandis que les autorités libanaises ont appelé à plusieurs reprises à sa libération.
Depuis 1999, année où il est devenu libérable, toutes ses demandes de libération conditionnelle ont été rejetées, sauf une en 2013, où il a été libéré sous condition d'être expulsé de France.
Lorsque sa demande fut acceptée cette année-là, la secrétaire d'État américaine de l'époque, Hillary Clinton, contacta le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, en déclarant dans des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks : « Bien que le gouvernement français n'ait aucune autorité légale pour annuler la décision de la Cour d'appel, nous espérons que les responsables français trouveront une autre base pour contester la légalité de la décision. »
Le ministre français de l'Intérieur, Manuel Valls, a alors refusé d'exécuter l'ordre et Abdallah est resté en prison.
Chalanset a déclaré à l'AFP que la décision du tribunal vendredi n'était pas conditionnée à la prise d'une telle ordonnance par le gouvernement, la qualifiant de « victoire juridique et politique ».
Toutefois, en droit français, un recours peut suspendre la décision du tribunal, différant ainsi de fait son exécution.
Au fil des années, le sort d'Abdallah a mobilisé des militants proches du Parti communiste français et de l'extrême gauche, qui ont accusé les gouvernements successifs d'employer des tactiques implacables concernant la libération du prisonnier politique.
Plusieurs municipalités communistes l'ont même fait citoyen d'honneur, et des manifestations ont fréquemment eu lieu devant sa prison de Lannemezan, dans le sud-ouest de la France.
"Georges Ibrahim Abdallah est la victime d'une justice d'Etat qui fait honte à la France", écrivait le mois dernier l'écrivaine et prix Nobel Annie Ernaux dans un article publié dans le quotidien communiste L'Humanité.
La Ligue des droits de l'homme, une importante ONG française de défense des droits de l'homme, soutient depuis longtemps que l'emprisonnement prolongé d'Abdallah constitue une violation des droits de l'homme.
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