Le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs : réalité, chimère, ou mystification institutionnalisée ?


Le principe de séparation des pouvoirs : une illusion qui se fissure sous les verrous de la République
À l'aube d'un mardi frisquet d'automne, Nicolas Sarkozy franchira les portes de la prison de la Santé. Condamné à cinq ans de détention ferme pour association de malfaiteurs dans l'affaire du financement libyen de sa campagne de 2007, l'ancien président de la République entamera ce qui pourrait bien être le crépuscule de sa carrière politique. Ce n'est pas une fiction dystopique, mais une réalité administrative implacable : l'exécution de la peine, confirmée en appel et scellée par la Cour de cassation, s'abattra sans appel. À 70 ans passés, l'homme qui rêvait d'une « présidence forte » se retrouvera derrière les barreaux, dans une cellule aux murs séculaires qui ont vu défiler des figures bien plus sinistres que lui.
Et Emmanuel Macron, dans tout ça ? Hier soir, au sortir du sommet des pays méditerranéens à Portoroz, en Slovénie, le locataire de l'Élysée a balbutié une réponse qui sonne comme un aveu d'impuissance – ou de calcul froid.
« J’ai eu des propos publics toujours très clairs sur l’indépendance de l’autorité judiciaire dans le rôle qui est le mien. Mais il était normal que sur le plan humain, je reçoive un de mes prédécesseurs, dans ce contexte. »
Des mots pesés, réticents, qui contrastent avec son opposition initiale au retrait de la Légion d'honneur à Sarkozy. À l'époque, en 2021, Macron avait jugé cela « pas une bonne décision », invoquant le respect dû aux anciens présidents. Aujourd'hui, ce respect semble s'évaporer comme une brume matinale. Pas de grâce présidentielle en vue, pas de geste salvateur. Juste l'expression de ce que certains observateurs au Château appellent « les foudres ou la méchanceté de Macron.» (Et, rappelez vous les mots de Valls en 2017 : « Macron est méchant, mais il n'a pas de codes donc pas de limites.»)
Pourtant, la Constitution française – ce socle intangible de la Ve République – offrait à Macron des leviers bien plus puissants qu'un simple appel à l'humanité. Des leviers légaux, incontestables, qui auraient pu suspendre l'exécution de la peine sans heurter, en apparence du moins, le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs.
Car c'est là que le bât blesse : ce principe, pilier de Montesquieu et joyau de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, n'est-il encore qu'une chimère ? Ou pire, une mystification institutionnalisée, où l'autorité judiciaire, sous couvert d'indépendance, dicte sa loi au pouvoir élu ? Plongeons dans les méandres de la Constitution de 1958, cette machine bien huilée forgée par De Gaulle pour dompter les passions du législatif. L'article 5 en fait du président « garant du respect de la Constitution » et du « bon fonctionnement des pouvoirs publics ». L'article 17 lui confère le droit de grâce, une prérogative discrète mais absolue, exercée sans contrôle du Parlement ni du Conseil constitutionnel, hormis si sa santé l’en empêche (et d’ailleurs ne serait-il point temps que le Président accomplisse ses engagements de publier ses états de santé ?). Des précédents existent : François Mitterrand en a usé pour des cas humanitaires, Jacques Chirac pour des affaires mineures. Pourquoi pas ici, pour un ex-chef de l'État dont les fautes, si elles sont avérées, n'effacent pas le poids du suffrage populaire ?
Mais Macron aurait pu aller plus loin, dans un coup de théâtre digne d'une comédie politique, et il a tenté le coup dans le gouvernement Lecornu I en faisant nommer Bruno Le Maire ministre de Armées. Imaginez : un décret présidentiel nommant Nicolas Sarkozy au gouvernement. Les décrets de nomination ministérielle, pris en Conseil des ministres, échappent au contrôle de légalité du Conseil d'État dans les domaines régaliens. Et la jurisprudence, forgée au fil des décennies, suspendrait l'exécution des peines pour les membres du gouvernement tant qu'ils sont en fonction – une mesure d'incompatibilité visant à préserver l'exercice des responsabilités publiques. Prenez l'exemple d'Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, condamné pour prise illégale d'intérêts : l'exécution de sa peine a été suspendue tant qu'il exerçait ses fonctions. Pourquoi pas Sarkozy en ministre plénipotentiaire ? Mieux : en Garde des Sceaux, lui qui fut si souvent accusé de court-circuiter la justice par le passé.
La scène serait inoubliable, un tableau surréaliste gravé dans les annales.
À la Chancellerie, sous les lambris du XVIIIe siècle, le protocole solennel s'enclenche. Le Premier président de la Cour de cassation, en robe protocolaire, tend les Sceaux de la République à l'heureux promu. « Vous êtes désormais le gardien des sceaux, garant de la justice et des libertés », déclame-t-il d'une voix grave, comme le veut la tradition. Sarkozy, avec son sourire, répondrait par un discours d'engagement sur l'État de droit – tout en arborant, pour l'occasion, le bracelet électronique imposé par sa précédente condamnation. Ajoutez une tenue de bagnard, clin d'œil aux Dalton, et vous avez du grand art satirique. Humiliant pour l'autorité judiciaire ? Sans doute. Mais 100 % constitutionnel. Et un rappel cinglant : en France, le pouvoir exécutif n'est pas un spectateur passif face à une justice qui se rêve en contre-pouvoir absolu. C'est le cœur du principe de séparation des pouvoirs : non une cloison étanche, mais un équilibre où l'exécutif, souverain, peut – et doit – corriger les dérives.
Hélas, ce scénario reste du domaine du fantasme. Et pour cause : il mettrait à nu la faille béante du système. Car si la justice française se drape dans l'indépendance (article 64 de la Constitution : « l'autorité judiciaire est indépendante »), elle n'est qu'une « autorité », non un « pouvoir » à part entière, comme le rappelle le Titre VIII de la Constitution. Ses décisions s'imposent aux citoyens, mais ploient devant les actes régaliens de l'exécutif. Pourtant, depuis des années, la Cour de cassation – garante suprême de la conformité des jugements à la loi – semble avoir oublié cette hiérarchie. Pire : elle multiplie les arrêts dits « contra legem », ces jugements qui contredisent ouvertement la lettre de la loi, la réécrivant au gré des vents idéologiques ou sociétaux.
Prenons un exemple historique qui hante encore les prétoires : l'arrêt Desmares de 1970, où la Cour de cassation a contredit une loi claire sur la prescription en matière civile, forçant une interprétation extensive pour des motifs d'équité. Des décennies plus tard, en 2025, le phénomène persiste. Regardez l'arrêt du 26 juin 2025 (n° 23-16.328), où la Deuxième chambre civile a réinterprété les règles de prescription en droit des contrats, étendant un délai légal de manière à ignorer les termes explicites du Code civil. Ou encore, en matière criminelle, l'arrêt du 5 mars 2025 (n° 24-81.132), qui a restreint le champ d'application d'une peine prévue par la loi sur la corruption, arguant d'une « cohérence systémique » non prévue par le législateur. Ces « transpositions » ou « réécritures » ne sont pas des exceptions : un panorama de la jurisprudence civile 2024-2025 en recense une vingtaine, touchant des domaines aussi variés que le droit du travail ou la procédure pénale. Résultat ? La loi, votée par le Parlement au nom de la souveraineté nationale (article 3 : « la souveraineté nationale appartient au peuple »), est bafouée. L'article 34, qui réserve au législateur la définition des crimes, des peines et de la procédure pénale, devient une coquille vide.
Et qui paie ? Le justiciable lambda, opposé non à la loi, mais à l'humeur des robes noires.
Cette dérive est d'autant plus insidieuse qu'elle s'auto-alimente.
Les tribunaux de première instance et les cours d'appel appliquent fidèlement ces arrêts « contra legem », au mépris des articles 432-1 et 432-2 du Code pénal, qui punissent la « mise en échec de l'exécution des lois » de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Un délit flagrant, commis en bande organisée – magistrats du siège et du parquet confondus. Et dans les amphithéâtres des facultés de droit ? Les professeurs, gardiens autoproclamés de la doctrine, enseignent à leurs étudiants que la Cour de cassation a non seulement le droit, mais le devoir de « corriger » une loi « mal formulée » ou « dépassée ». Un devoir ? Vraiment ? C'est là une inversion des valeurs : la justice ne juge pas, elle légifère. Et dans les procès politiques – celui de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics, ou celui de Sarkozy pour ses écoutes illégales –, ces mêmes magistrats invoquent la « séparation des pouvoirs » pour justifier des verdicts qui sentent le règlement de comptes. « Nous appliquons la loi strictement », clament-ils. Quel cynisme. Quel foutage de gueule, pour reprendre un langage plus cru.
Mais où sont les contre-pouvoirs ?
Les politiques, premiers concernés, se terrent dans un silence assourdissant. Députés et sénateurs, représentants du peuple, pourraient – et devraient – agir. Une plainte au procureur, une citation directe : poursuivre ces magistrats pour déni de justice (article 434-7-1 du Code pénal) ou entrave à l'exécution de la loi. Le président, garant des institutions, pourrait initier une réforme constitutionnelle pour recentrer la Cour de cassation sur son rôle de simple censeur légal.
Au lieu de cela, ils se taisent, hantés par leurs propres ombres : affaires de népotisme, soupçons de corruption, enquêtes en sommeil. Tous trempent dans le marécage, craignant que lever le voile ne les noie. C'est une complicité tacite, un pacte du silence qui érode la République de l'intérieur.
Face à ce tableau, l'appel à l'action est impérieux. Députés, sénateurs : réveillez-vous ! Votre devoir n’est-il pas de poursuivre les auteurs de ces arrêts « contra legem », qu'importe l'affaire – car en protégeant la loi, vous protégez le peuple ? Et ne devriez-vous pas réformer la formation des magistrats pour ancrer le respect absolu du texte législatif « ? Et en cas de vide juridique, rappelez-leur : pas d'interprétation créative, mais un non-lieu. La justice n'est pas là pour combler les silences du législateur ; elle est là pour les respecter. Sinon, à quoi bon les urnes, si la Cour de cassation en est le vrai maître ? Courage, Nicolas Sarkozy. Du fond de votre cellule, vous incarnez peut-être le symptôme d'une France malade de ses équilibres perdus. Mouammar Kadhafi, exilé dans les sables de l'Histoire, vous observe sans doute avec un sourire narquois.
Mais, la République, elle, mérite mieux qu'une farce en trois actes. Elle mérite une séparation des pouvoirs restaurée : non pas une illusion, mais une réalité forgée dans le marbre de la souveraineté populaire.
Demain, quand les verrous se refermeront, ce ne sera pas seulement sur un homme, mais sur un idéal. À nous de les rouvrir.

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