Dermatose bovine : des gendarmes répriment violemment des éleveurs opposés à l’abattage d’un troupeau

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4 décembre 2025 



Dans le Doubs, plusieurs centaines de manifestants ont tenté d’empêcher, en vain, l’abattage de 83 bovins, à la suite de la détection d’une vache touchée par la dermatose nodulaire. Gaz lacrymos, tirs de LBD... La manifestation a été réprimée.

« On entendait hurler nos bêtes, nos petits veaux. Ils paniquaient. Et puis bam, bam ! Ça a été le bruit des cadavres attrapés par la pince croco qui tombaient dans la benne, jusqu’à 22 heures, à travers les volets fermés. On entendait tout. » À l’autre bout du fil, Céline Lhomme, depuis le Doubs, a la voix cassée.

Le troupeau de 83 vaches laitières de son mari Cédric et de ses beaux-parents Gérard et Chantale a été abattu le 2 décembre après-midi, après qu’une vache a été testée positive à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) le 28 novembre. La mobilisation de plus de 300 personnes pour bloquer l’arrivée des vétérinaires, brutalement réprimée par les gendarmes, n’y a rien fait.

Certains éleveurs en détresse s’opposent depuis le début à cette gestion de la crise sanitaire par l’État, et notamment aux abattages massifs de troupeaux pour protéger les élevages alentour. Le conflit entre le monde paysan et les autorités a monté d’un cran ce 2 décembre dans la ferme de Pouilley-Français avec cette intervention disproportionnée des forces de l’ordre : 175 gendarmes, des grenades lacrymogènes, des tirs de LBD... Une procédure a été ouverte pour « violence avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique », contre un gendarme ayant touché un conducteur de tracteur à l’épaule avec un tir de LBD.

72 élevages, 7 départements

La DNC, c’est la hantise des éleveurs bovins depuis cinq mois. Cette maladie virale bovine très contagieuse, transmise par les insectes, provoque des nodules cutanés, de la fièvre et peut être fatale. Au 30 novembre, la France comptait 107 foyers de DNC dans 72 élevages répartis dans 7 départements : Savoie, Haute‑Savoie, Ain, Rhône, Jura, Pyrénées‑Orientales et Doubs — l’élevage des Lhomme.

Pour l’éradiquer, le ministère de l’Agriculture a mis en place des zonages et des protocoles très stricts : vaccination massive dans les zones à risque, restrictions de mouvements et surtout « dépeuplement » total des troupeaux infectés. Depuis le début de l’épidémie le 29 juin et jusqu’à fin août 2025, 1 718 bovins ont été abattus dans 45 élevages.

Dans la ferme du Doubs, l’engrenage s’est mis en route le 27 novembre. Ce jour-là, à la traite, les éleveurs ont découvert un nodule sur le pied d’une vache. Bizarre, les vaches avaient pourtant toutes été vaccinées contre la DNC un mois plus tôt dès le passage de Pouilley-Français en zone à risque. Le vétérinaire s’est montré confiant. « Il nous a dit qu’il y avait très peu de risques que ce soit ça et que même si ça l’était, ils n’euthanasiaient normalement que la vache malade, suite au protocole de vaccination », se souvient Céline Lhomme.

Alors quand les services vétérinaires ont débarqué à la ferme le 29 novembre avec l’arrêté préfectoral ordonnant l’abattage de tout le troupeau, ce fut le coup de massue. Les éleveurs ont tenté de négocier : la ferme est isolée, les bovins vaccinés, peut-être pourrait-on les épargner et saisir l’occasion pour observer l’effet du vaccin sur la propagation de la maladie ? « Ils n’ont rien voulu savoir : ils nous ont dit “C’est comme ça : on abat le troupeau” », rapporte Céline Lhomme.

Recours au tribunal... en vain

Très vite, la riposte s’est organisée. La Confédération paysanne et la Coordination rurale ont déposé des recours au tribunal administratif pour demander la suspension de l’abattage, dont la date a été fixée au 2 décembre à 8 heures. Cédric et Céline Lhomme, avec leurs quatre enfants âgés de 18, 17, 13 et 5 ans, ont décidé d’organiser un blocage de la ferme pour empêcher l’opération tant que la décision de justice ne serait pas rendue.

« Le lundi soir [le 1er décembre], nous étions déjà une trentaine. Nous avons dormi sur place », raconte Laurence Lyonnais-Meslob, porte-parole de la Confédération paysanne du Doubs et éleveuse de vaches laitières. La gendarmerie avait alors déjà bouclé les routes d’accès à la commune. « Personne ne pouvait plus entrer dans le village, témoigne Josette Nicolin, une cousine de Chantale Lhomme qui vit à une centaine de mètres de la ferme familiale. Un monsieur qui rentrait chez lui a dû montrer sa carte d’identité pour passer. Ils n’ont même pas laissé circuler le bus scolaire le mardi matin. »

Ce matin-là, à 7 h 30, 175 gendarmes répartis dans une dizaine de camions ont pénétré dans la cour de la ferme des Lhomme. « Mon mari était à la traite. Ce sont les enfants qui sont entrés en hurlant : “Maman, viens vite !” Il faisait nuit, on ne voyait qu’une guirlande de phares. C’était impressionnant », décrit Céline Lhomme. Les forces de l’ordre ont alors tenté d’empêcher les soutiens — plus de 300 personnes au faîte de la mobilisation — de bloquer l’accès à l’étable.



Selon cette vidéo prise par l’Est Républicain, un agriculteur a été violemment interpellé alors qu’il montait dans son tracteur pour le ranger. Capture d’écran / Est Républicain

« On est allés voir le gradé de la gendarmerie pour leur dire : “Personne ne partira tant qu’on n’a pas la décision du tribunal, mais il n’y aura pas de violence”. Le gradé nous a regardés : “Si dans quelques minutes les tracteurs n’ont pas bougé, on emploiera la force” », rapporte l’épouse de Cédric Lhomme, auxiliaire de puériculture.

Des manifestants parqués

Stéphane Pellegrini, président de la société de chasse et parent éloigné par alliance de la famille Lhomme, était présent sur place en soutien. « Il y a eu des lacrymos. Ils n’ont pas cherché à comprendre. Certains gendarmes étaient visiblement là pour faire le ménage, alors que c’était un rassemblement pacifiste. » Céline Lhomme a vu une grenade de gaz lacrymogène exploser à ses pieds : « Une dame à côté de moi m’a traînée parce que je suffoquais. C’était horrible. Mes yeux brûlaient, je hurlais. » Deux personnes en tracteur ont été interpellées. Elles ont été relâchées depuis.

« Il y a eu des lacrymos. Ils n’ont pas cherché à comprendre »

« Les infractions retenues par les services enquêteurs et le parquet étaient les délits de “violence avec arme sans incapacité” et “refus par le conducteur d’un véhicule d’obtempérer à une sommation de s’arrêter”, et non plus de tentative de meurtre comme cela avait été retenu par les services de gendarmerie au moment de l’interpellation à 7 h 45 », a précisé le procureur de la République du tribunal judiciaire de Besançon à Reporterre.

En fin de matinée, tous les soutiens ont été poussés dans un parc entouré de fils barbelés, à côté de l’étable. « Pour éviter les blessures, les manifestants ont fini par casser les barbelés eux-mêmes. Mon fils a été plaqué contre un barbelé : les mains en sang. Une fois dans le parc, un cordon de CRS a fait tout le tour », raconte Céline Lhomme. Les services vétérinaires sont arrivés et ont commencé à installer les cages de contention. « À 14 heures, la décision du tribunal n’avait pas été rendue que tous les vétérinaires étaient prêts, seringues à la main », décrit Laurence Lyonnais-Meslob, porte-parole de la Confédération paysanne du Doubs, écœurée.

C’est elle qui l’a appris la première, de la bouche du directeur de la DDETSPP et d’une adjointe à la préfecture : « Vous avez été déboutés de vos recours, on va procéder à l’opération d’abattage. » C’est elle aussi qui a transmis l’information à Cédric et Céline Lhomme.

Contactés, les services vétérinaires, la préfecture du Doubs et le ministère de l’Agriculture n’avaient pas répondu aux sollicitations de Reporterre le 3 au soir. Mais comme le rapporte Le Monde, Bruno Vincent, directeur départemental de la protection des populations, a assuré lors d’une conférence de presse à la préfecture que l’animal infecté avait « une charge virale extrêmement forte ». Et que les manifestants ont pu transporter du virus en marchant sur du fumier.

Colère dans le village

Depuis cette journée de cauchemar et la disparition de son troupeau, le couple tourne en rond. « Mercredi matin [le 3 décembre], mon mari s’est levé comme d’habitude, puis il a réalisé qu’il n’y aurait pas de traite », raconte Céline Lhomme. Gérard et Chantale Lhomme, qui ont quitté la ferme le plus tôt possible le 2 au matin, se tiennent à l’écart de la presse. Mais Josette Nicolin se fait du souci : « Les vaches, à Gérard, c’était toute sa vie. Le troupeau lui venait de son père. J’espère qu’il va bien réagir. »

Dans le village, la colère est palpable. « Il faut que la ministre de l’Agriculture [Annie Genevard], qui est du département, se bouge un peu. Ils n’ont aucune nouvelle d’elle depuis que la nouvelle est tombée, tempête Stéphane Pellegrini. Les Lhomme, ce sont des personnes très carrées dans leur travail. Ils ont vacciné tout de suite, ils ont suivi tout le protocole sanitaire qu’il fallait faire. Alors tuer leurs 83 vaches ! »

« Ses vaches, c’était toute sa vie »

« On ne pourra pas continuer dans cette voie autoritaire de gestion de crise, martèle Stéphane Galais, porte-parole national de la Confédération paysanne. À un moment donné, la situation de départ n’est pas celle qu’on connaît aujourd’hui : les mesures doivent aussi être adaptées et proportionnées. »

« L’État français doit être acteur de la déclassification de la maladie, qui est en catégorie A aujourd’hui au niveau européen, abonde Laurence Lyonnais-Meslob. Il faut qu’on vaccine largement. Il faut que l’État s’engage dans les négociations bilatérales avec les partenaires économiques pour que les pays tiers acceptent des animaux vaccinés. C’est tout à fait faisable, et c’est déjà en cours : les acteurs économiques passent déjà des accords avec l’Algérie, l’Espagne et l’Italie. »

Pour l’heure, l’éleveuse, mobilisée à la ferme de Pouilley-Français depuis le 1er décembre, a « besoin » d’aller voir ses propres vaches. Mais elle a bien l’intention de poursuivre le combat pour tous les autres éleveurs, car d’autres abattages sont prévus dans les prochains jours, notamment dans les Pyrénées-Orientales : « Cédric m’a dit mardi soir : “Si seulement je pouvais être le dernier… On n’aura pas vécu ça pour rien”. »

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