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Donald le conquérant - point de vue du Canada

 De : https://www.lapresse.ca/international/chroniques/2025-01-08/donald-le-conquerant.php

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Le président désigné Donald Trump lors d’une conférence de presse à Mar-a-Lago, en Floride, mardi

Donald Trump annonce ses couleurs : il entend mener les relations internationales de son pays comme il a mené ses entreprises. En voyou.

La répétition de ses visées agressives sur le Canada, le Panamá et le Groenland devrait être prise très au sérieux, peu importe son degré de réalisme.

Car si une fois, c’est une blague, deux fois, c’est une mauvaise blague, et trois fois, c’est une menace.

Et c’est carrément une menace d’invasion qu’a proférée mardi l’homme qui redeviendra président des États-Unis dans deux semaines.

PHOTO EMIL STACH, FOURNIE PAR L’ASSOCIATED PRESS

Donald Trump Jr. à son arrivée à Nuuk, capitale du Groenland, mardi

En conférence de presse à Mar-a-Lago, il n’a pas exclu l’emploi de la force pour s’emparer du canal de Panamá, un État souverain, et du Groenland, un territoire danois. Pour ce qui est du Canada, c’est par la force économique qu’il entend l’englober dans les États-Unis, a-t-il dit.

Pendant ce temps, Donald fils s’est rendu au Groenland pour une « visite privée ».

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TRUTH SOCIAL DE DONALD TRUMP

Le président désigné Donald Trump a publié cette carte mardi soir sur son compte Truth Social.

Tout cela demande une réplique sérieuse d’Ottawa. On est tout de même en face d’un président qui publie de nouvelles cartes des États-Unis englobant le Canada. Ce n’est plus une blague depuis longtemps. Le premier ministre a écrit sur X que le Canada ne deviendra jamais un État américain. C’est encore timide. On ne gagne jamais avec un intimidateur en utilisant l’apaisement. Mais Justin Trudeau n’a jamais été à l’aise dans les crises et les affrontements. Et Trump profite de son impopularité et de sa démission pour en rajouter.

Menacer d’utiliser la puissance militaire pour s’emparer d’un territoire est en soi une violation du droit international. Le fondement même de la Charte des Nations unies est le respect de la souveraineté des membres. Les membres, dit la Charte, « s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État ».

S’agissant du Groenland, la menace est également une violation du premier article du Traité de l’Atlantique Nord, puisque les États-Unis et le Danemark sont membres de l’OTAN. Mais la même logique s’applique au Canada, et il est incroyable que le discours le plus ferme émane non pas du premier ministre fédéral, mais de celui de l’Ontario.

Trump n’en a évidemment rien à cirer, puisqu’encore l’été dernier, il disait que personne ne sait vraiment ce que c’est que l’OTAN…

Est-ce que ça veut dire que des Marines s’en iront prendre le contrôle du Groenland cet hiver ?

Ça veut dire que l’offre d’achat du territoire se fait sous la menace d’emploi de la violence armée, ce qui est évidemment une violation du droit international.

Ça veut surtout dire que la doctrine américaine des relations internationales sous Trump II sera en rupture complète avec ce qu’on a connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

On a décrit Trump comme un isolationniste : il veut se retirer des ententes militaires coûteuses et ne plus être le policier de la planète. Il veut laisser faire la Russie en Ukraine au lieu d’engouffrer des milliards dans la défense de la souveraineté ukrainienne.

Mais l’isolationnisme n’est peut-être pas la bonne définition. Le concept est basé sur de vieilles catégories de la politique américaine. Pour ce qui est de l’espace nord-américain, on est plutôt devant un futur président conquérant, agressif, intimidateur. Chose qui n’était pas vraiment sur le radar.

Si Vladimir Poutine reprend les vieilles possessions impériales russes, pourquoi les États-Unis ne feraient-ils pas de même avec le continent nord-américain ?

Écoutez son discours, il est la version américaine de celui de Poutine au sujet de l’Ukraine, moins la nostalgie patriotique :

« Si vous vous débarrassez de cette ligne tracée artificiellement [la frontière canado-américaine], et vous regardez à quoi ça ressemble, ce serait bien mieux pour la sécurité. Au fond, on protège le Canada. »

PHOTO EVAN VUCCI, ASSOCIATED PRESS

Le président désigné Donald Trump arrive à une conférence de presse à Mar-a-Lago, en Floride, mardi.

Trump parlait le mois dernier des « 100 milliards de subvention » versés par les États-Unis au Canada, sans jamais vraiment expliquer de quoi il parle. Probablement du déficit commercial, qui n’est pas une subvention, mais une différence entre ce qui est vendu et acheté entre États. Il parlait mardi de « 200 milliards »…

C’est n’importe quoi, me direz-vous. Oui, mais il veut nommer comme secrétaire à la Défense un incompétent alcoolique… et congédier les hauts gradés.

Les généraux américains, contrairement à Trump, sont hautement éduqués, connaissent le droit et l’histoire, et ne sont sûrement pas intéressés à envahir un allié comme le Danemark. Mais comment les choses se passeront-elles après le 20 janvier ?

Ce n’est pas d’hier que les États-Unis veulent acheter le Groenland, qui fait partie géologiquement de l’Amérique du Nord. Des offres d’achat ont déjà été faites, notamment sous le président Harry Truman en 1946. Mais personne n’avait publiquement menacé de l’envahir en cas de refus de l’offre-qu’on-ne-peut-refuser, comme on dit dans Le parrain. Car c’est bien d’une tactique mafieuse qu’il s’agit.

Le cas du Panamá est très différent. C’est une société française qui a commencé la construction du canal, à la fin du XIXe siècle – la même qui avait construit celui de Suez. L’entreprise s’est révélée ruineuse et la société française a fait faillite. Les Américains en ont repris le contrôle, sous Teddy Roosevelt. C’est ce qui a mené à l’indépendance de ce qui était jusque-là une province de la Colombie. Les Américains y sont intervenus plusieurs fois militairement pour protéger leurs intérêts, comme dans bien d’autres États d’Amérique latine.

Ironiquement, c’est le président dont les funérailles avaient lieu mardi qui a signé en 1977 le traité cédant le canal au Panamá à compter de 1999. Jimmy Carter mettait ainsi fin à des troubles majeurs dans le pays.

PHOTO CHARLES TASNADI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président américain Jimmy Carter visite le canal de Panamá en juin 1978.

Ça n’a pas empêché les Américains d’envoyer 9000 soldats en 1989. Une intervention décriée comme une violation du droit international… On pourrait donc prétendre que la rhétorique de Trump n’est que la verbalisation plus brutale de la politique d’ingérence américaine.

C’est beaucoup plus que cela. On ne peut comparer les relations entre les États-Unis et le Panamá, qui a longtemps été une dictature militaire corrompue, avec celles du Canada ou du Danemark.

Les Américains, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, se sont posés en gardiens de l’idée d’un État de droit international. Il n’a jamais vraiment existé, et encore en 2003, les États-Unis envahissaient l’Irak sous de faux motifs. Mais du moins, il fallait des prétextes, des principes directeurs. Ceux qui n’en avaient pas étaient pour les Américains des « États voyous » : subventionneurs du terrorisme, envahisseurs des États voisins.

Ce que Trump professe dans ses discours, c’est la fin de cette idée même de légalité dans l’ordre mondial. C’est en fait un nouveau désordre mondial, où l’on ne sait plus vraiment qui est un allié, qui est un adversaire, qui est un ennemi, et où tout peut virer le lendemain.

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