Israël-Palestine : vu de France, jamais l’universalisme n’a été autant dénié aux Arabo-musulmans que depuis le 7 octobre

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En apportant un soutien inconditionnel à Israël, malgré ses violations des droits humains, en assumant de hiérarchiser les victimes et en tolérant les paroles racistes, le « pays des droits de l’homme » sape ses valeurs humanistes et égalitaires

« Le président Emmanuel Macron a estimé qu’il fallait respecter ‘’un délai de décence’’, comme s’il était indécent d’appeler au cessez-le-feu ou de rappeler le droit international » – Hatem Nafti (AFP/Christophe Ena)


Dès les premières heures, les autorités officielles ont condamné avec vigueur les attaques commises par le Hamas – classé organisation terroriste en France et dans l’Union européenne – et ont affirmé un soutien inconditionnel à Israël et à son droit de se défendre.

En dépit de quelques précautions langagières, l’inconditionnalité du soutien sonne comme un blanc-seing à toutes les violations du droit international. Le discours de la majeure partie de la classe politique française et de ses relais médiatiques se borne à limiter le conflit à ses aspects civilisationnel et sécuritaire.

Le choix des autorités françaises de s’aligner – à l’instar des autres puissances occidentales – sur le gouvernement israélien finit d’achever un certain équilibre que Paris observait depuis les années 1960 en rapport avec le conflit au Moyen-Orient

Il s’agit de souligner une attaque perpétrée par un mouvement islamiste radical armé – qui du point de vue du droit français est strictement équivalent au groupe État islamique – contre des civils.

La société française, déjà traumatisée par les attentats de 2015, en particulier la tuerie du Bataclan et la prise d’otage de l’Hyper Cacher, est d’autant plus sensible à l’attaque du 7 octobre que certaines personnes tuées ou enlevées possèdent la nationalité française.

Par ailleurs, l’assassinat d’un professeur à Arras par un islamiste russe a ravivé la peur du djihadisme. Bien qu’aucun élément public de l’enquête n’ait mis en avant un quelconque lien entre cet assassinat et la situation au Moyen-Orient, et que, dans sa vidéo revendiquant l’attaque, l’assaillant n’ait fait qu’une allusion « très marginale » à l’attaque du Hamas en Israël, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et quelques médias proches du pouvoir ont avancé cette hypothèse.

Des personnalités médiatiques, originaires du monde arabo-musulman, à l’instar de Tahar Ben Jelloun ou Kamel Daoud, défendant ce prisme sécuritaire et civilisationnel, ont été mises en avant. C’est ainsi que le premier a décrété la mort de la cause palestinienne, tandis que le second en a proclamé la défaite.

Le choix des autorités françaises de s’aligner – à l’instar des autres puissances occidentales – sur le gouvernement israélien finit d’achever un certain équilibre que Paris observait depuis les années 1960 en rapport avec le conflit au Moyen-Orient.

Double standard

En adoptant des positions sensiblement proches de celles de Washington, Londres, Berlin ou Bruxelles, Emmanuel Macron donne à l’accusation d’un double standard occidental des arguments.

Depuis le 7 octobre, les médias et les réseaux sociaux brandissent les déclarations des leaders occidentaux qui, à l’instar de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ou d’Emmanuel Macron, condamnent les bombardements russes sur des civils ukrainiens ou des infrastructures vitales, alors qu’ils apportent un soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou.

Si ce deux poids, deux mesures a toujours existé, il s’est rarement exprimé de manière aussi brutale et directe. La proximité temporelle entre les conflits en Ukraine et à Gaza, l’utilisation massive des réseaux sociaux et la fin de la toute-puissance médiatique occidentale rendent ce décalage encore plus criant.

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La mobilisation, par les capitales de l’Ouest, du registre moral pour appuyer la cause ukrainienne tout en s’affranchissant de ces considérations pour les civils palestiniens porte un coup aux valeurs du « monde libre ».

Et le parallèle que tentent de faire les spin doctors entre, d’un côté, des Palestiniens amalgamés avec le Hamas et, de l’autre, Poutine a peu de chances d’aboutir. Il est difficile de reprocher au président russe d’annexer illégalement des territoires quand on passe sous silence la colonisation de la Cisjordanie, territoire échappant pourtant au contrôle du Hamas.

Ce traitement différencié est même ouvertement admis. C’est ainsi que l’ancien ambassadeur français Gérard Araud, qui a officié à Washington et à La Havane, a reconnu que son pays pratiquait un double standard s’agissant de la démocratie et des droits humains.

Les militants croyant sincèrement en la vertu de la démocratie et de l’universalité des droits humains sont donc une autre victime collatérale du soutien aveugle des pays qui prétendent défendre ces mêmes valeurs

Ce double standard profite aux puissances rivales des Occidentaux, telles que la Russie ou la Chine. En pointant du doigt les contradictions de l’Ouest, Beijing et Moscou, mais aussi les autocraties du monde arabe, délégitiment non seulement les alliés d’Israël mais aussi les principes mêmes de la démocratie libérale et des droits humains promus par les capitales occidentales et les ONG de ces pays.

En Tunisie, des associations luttant pour la démocratie, bien que dans le viseur du pouvoir de Kais Saied, ont annoncé rompre avec les bailleurs de fonds qui soutiennent l’offensive sur Gaza.

Les militants croyant sincèrement en la vertu de la démocratie et de l’universalité des droits humains sont donc une autre victime collatérale du soutien aveugle des pays qui prétendent défendre ces mêmes valeurs.

En plus des raisons démographiques et historiques déjà évoquées plus haut, le double standard occidental a une résonance particulière en France. En effet, plus qu’ailleurs, le pays dit des droits de l’homme proclame sa volonté de porter un modèle universaliste et égalitaire.

Amalgame

Or, dès le début du conflit, les autorités ont fait le choix assumé de hiérarchiser les victimes et les soutiens. C’est ainsi que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a imposé aux préfets d’interdire systématiquement les manifestations en faveur de Gaza, avant de se faire désavouer par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays.

S’inscrivant dans le récit sécuritaire et civilisationnel, le « premier flic de France » a sciemment amalgamé soutien aux civils palestiniens et sympathie pour le Hamas.

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Pour sa part, le président Emmanuel Macron a estimé qu’il fallait respecter « un délai de décence », comme s’il était indécent d’appeler au cessez-le-feu ou de rappeler le droit international.  

Alors que le pouvoir s’est lancé dans des arguties politico-sémantiques avec une partie de La France insoumise (LFI, gauche radicale), il n’a à aucun moment condamné les déclarations du ministre israélien de la Défense qualifiant les Gazaouis d’« animaux humains » ni celles du président israélien estimant que « toute une nation [à Gaza] » était responsable de la présence du Hamas au pouvoir. Cette réflexion a même été suggérée par le journaliste de LCI Patrick Pujadas, sans que cela ne donne lieu à un rappel à l’ordre.

Pire, les autorités de régulation ont laissé impunis des propos diffusés par la chaîne israélienne I24 appelant au nettoyage ethnique à Gaza.

La chaîne, habilitée à diffuser sur les box françaises et dont une partie des programmes est tournée à Paris, ne connaîtra sans doute pas le sort de RT France, interdite sur tout le territoire européen depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. 

Atmosphère inquisitoire

Le feuilleton opposant Gérald Darmanin à Karim Benzema révèle également l’atmosphère inquisitoire et raciste visant les musulmans propalestiniens.

Commentant un tweet de soutien du footballeur pour les victimes civiles à Gaza, le ministre de l’Intérieur a accusé le Ballon d’Or d’avoir un lien notoire avec les Frères musulmans. Participant à la surenchère, la sénatrice Les Républicains (LR, droite) Valérie Boyer a exigé la déchéance de nationalité de l’intéressé, tandis que sa collègue de parti, Nadine Morano, a parlé de « Français de papier ». 

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Sommés de s’expliquer, les services du ministère ont évoqué un « signal particulièrement flou », portant sur un « prosélytisme sur les réseaux sociaux autour du culte musulman, comme le jeûne, la prière, le pèlerinage à La Mecque » ou encore un « like » sur une publication hostile à Emmanuel Macron après la republication par Charlie Hebdo des caricatures du prophète Mohammed.

Notons que la publication a également été « likée » entre autres par David Beckham. Après plusieurs jours de polémique et face à la menace de poursuites pour diffamation, Darmanin a fini par proposer de retirer ses accusations si le footballeur acceptait de publier un tweet sur la mort de l’enseignant assassiné à Arras, Dominique Bernard.

Le ministre admet implicitement qu’il a sciemment calomnié un citoyen français, cible de longue date de l’extrême droite raciste.

Un choix assumé

Mais ce traitement différencié ne s’arrête pas aux opposants au gouvernement et aux propalestiniens. En marge d’un hommage à Dominique Bernard, le député macroniste Belkhir Belhaddad a été violemment pris à parti par son collègue du Rassemblement national (RN, extrême droite) Laurent Jacobelli.

L’élu d’extrême droite a qualifié le parlementaire d’origine maghrébine de « racaille » et l’a accusé d’être proche du Hamas. En dépit de la gravité des propos, la présidence de l’Assemblée a refusé d’engager des sanctions disciplinaires contre Jacobelli, arguant que l’incident s’était déroulé en dehors de l’enceinte parlementaire.

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Pourtant, la même présidence a enclenché ce mécanisme à l’encontre du député insoumis Thomas Portes pour un comportement jugé inapproprié observé en dehors de l’Assemblée. Ce faisant, le pouvoir législatif assume de minimiser une attaque raciste visant un élu issu de l’immigration extra-européenne.

Un autre incident montre l’attachement sélectif aux valeurs prônées par l’Occident. Le lundi 16 octobre, la militante palestinienne Mariam Abu Daqqa a été arrêtée et placée en résidence surveillée. Membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation classée « terroriste » par l’Union européenne (UE), elle devait donner une série de conférences, notamment sur la lutte des femmes à Gaza. Dans son avis d’expulsion, Gérald Darmanin fait le lien avec l’attentat d’Arras, estimant que les interventions de Mme Abu Daqqa « sont de nature à attiser les tensions, la haine et la violence entre les communautés et à créer de graves troubles à l’ordre public ».

Saisie, la justice administrative a suspendu la décision du ministère qui a décidé de faire appel. Cet épisode conforte l’idée que la France défend les combats féministes dans les pays du sud non pas par attachement aux valeurs mais par pur intérêt géopolitique, l’exemple de la discrétion de Paris sur le sort des femmes en Arabie saoudite est un bel exemple de ce double standard.

Cette situation se traduit par un fossé de plus en plus grand entre l’Ouest et les pays du Sud global qui bénéficie aux régimes autoritaires et aux rivaux stratégiques du monde occidental

Depuis le 7 octobre 2023, le soutien inconditionnel qu’expriment les gouvernements occidentaux à Israël porte gravement atteinte aux valeurs que ces pays promeuvent.

Cette situation se traduit par un fossé de plus en plus grand entre l’Ouest et les pays du Sud global qui bénéficie aux régimes autoritaires et aux rivaux stratégiques du monde occidental.

En France, le système républicain universaliste, basé sur la rationalité et l’égalité, veut interdire toute contextualisation et tend à criminaliser le soutien aux Palestiniens.

En assumant un double standard en matière diplomatique, Paris précipite sa perte d’influence auprès de ses anciennes colonies. En acceptant un traitement différencié entre les citoyens, les autorités donnent raison aux tenants d’un modèle communautaire qu’elles disent combattre.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Hatem Nafti est essayiste franco-tunisien. Il a écrit De la révolution à la restauration, où va la Tunisie ? (Riveneuve 2019) et Tunisie : vers un populisme autoritaire (Riveneuve 2022). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @HatemNafti

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