George Simion demande l'annulation des élections présidentielles en Roumanie pour ingérence étrangère - analyse


George Simion, leader souverainiste de l’Alliance pour l’union des Roumains (AUR) et vice-président du parti des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), a officiellement demandé à la Cour constitutionnelle de Roumanie d’annuler l’élection présidentielle de mai 2025, invoquant des preuves « irréfutables » d’ingérence étrangère, notamment de la France et de la Moldavie. Cette démarche intervient après sa défaite au second tour le 18 mai 2025 face au candidat pro-européen Nicușor Dan, qui a obtenu 53,6 % des voix contre 46,4 % pour Simion, soit un écart d’environ 829 000 voix. Cette demande fait écho à l’annulation sans précédent de l’élection de décembre 2024 pour cause d’ingérence présumée de la Russie, créant un précédent pour contester l’intégrité électorale.
Allégations d’ingérence étrangère
Simion fonde ses accusations sur une manipulation qui aurait été orchestrée par des acteurs étatiques et non étatiques étrangers, notamment la France et la Moldavie, qui auraient influencé les institutions, les récits médiatiques et le processus électoral en faveur de Dan. Un élément clé de son argumentation repose sur les déclarations de Pavel Durov, fondateur de Telegram, qui a affirmé le 18 mai 2025 qu’un « gouvernement d’Europe occidentale » (sous-entendu la France, accompagné d’un emoji baguette) lui avait demandé de « réduire au silence les voix conservatrices » en Roumanie avant l’élection. Durov a précisé que Nicolas Lerner, chef du renseignement français, l’avait approché au Salon des Batailles de l’Hôtel de Crillon pour exiger la censure de chaînes Telegram conservatrices roumaines, une demande qu’il dit avoir refusée. Ayant pris attache avec le staff de Durov, Simion a appelé la Cour constitutionnelle à l’inviter à témoigner pour étayer ces allégations, une démarche qui pourrait porter la controverse à un niveau continental si elle était acceptée.
Le ministère français des Affaires étrangères a catégoriquement démenti les accusations allégations de Durov , les qualifiant de « totalement infondées ». Malgré ces démentis, Simion s’appuie sur les déclarations de Durov, qui se déclare prêt à « témoigner devant la Cour » pour renforcer son discours sur l’ingérence étrangère, incitant les citoyens roumains à déposer des recours individuels auprès de la Cour constitutionnelle pour contester la légalité de l’élection.
Soutien sur les réseaux sociaux et analyses indépendantes
C’est par une analyse de @amuse que l’on pourrait dire que la controverse sur les élections a commencé. Dès le 18 mai 2025, des observateurs et analystes écrivaient : « L’élection en Roumanie est un fiasco. George Simion, le candidat nationaliste, dénonce une ingérence étrangère, citant Pavel Durov de Telegram, qui affirme que le renseignement français a tenté de censurer les voix conservatrices. La Cour constitutionnelle a déjà annulé le vote de l’année dernière pour ingérence russe. Une autre élection truquée ? » Ce sentiment reflète la méfiance croissante parmi les partisans de Simion, qui considèrent l’élection comme compromise.
Le 20 mai 2025 une analyse questionnant la plausibilité statistique des résultats électoraux était publiée sur X. Basée sur une simulation des divers profils de report de voix, Nicușor Dan aurait dû obtenir entre 77 % et 79° % des quelque deux millions de nouveaux électeurs entre le premier et le second tour pour atteindre son écart de victoire, un résultat qui parait « hautement improbable » explique Xavier Azalbert étant donné les derniers sondages avant les élections qui donnaient Simion gagnant à 54-55 % ainsi que les dynamiques de report des voix des élections précédentes (de 1992 à aujourd’hui). Des « problèmes ou incohérences » ont été identifiés dans plus de 700 unités administratives territoriales (UAT), où Simion aurait gagné proportionnellement moins de nouveaux votes qu’attendu, voire perdu des voix. L’écart des votes observés pour le second tour par rapport aux attendus (en fonction des profils de report de votes des candidats éliminés au premier tour) devrait être audité afin de vérifier leur sincérité et si une erreur ou manipulation des votes par « faible niveau de diffusion », c’est-à-dire quasiment indétectable à l’œil nu, ne pourrait pas avoir pris place. Un audit ou un recomptage, ainsi qu’une enquête auprès d’un échantillon représentatif d’électeurs roumains pour vérifier les transferts de voix, permettrait d’évaluer si l’écart de 829 000 voix est sincère. Cet écart est inhabituellement élevé par rapport aux annulations précédentes impliquant 300 000 à 400 000 voix.
Allégations plus larges et contexte
Simion inclut également des accusations de fraude électorale, telles que des millions d’euros dépensés pour acheter des voix en Moldavie, l’inclusion de 1,7 million de noms fictifs sur les listes électorales et des votes exprimés par des personnes décédées. Il affirme que les 11,5 millions de votes rapportés dépassent un taux de participation plausible, bien que l’autorité électorale roumaine ait signalé un taux de participation de 65 %, nettement supérieur aux 53 % du premier tour le 4 mai 2025. Ces allégations restent non étayées, Simion n’ayant pas présenté publiquement de preuves concrètes, un point critiqué par des médias comme The Guardian et Le Monde.
Le contexte de cette contestation est marqué par les récentes turbulences politiques en Roumanie. L’élection de décembre 2024 a été annulée pour des allégations d’ingérence russe, notamment une campagne de désinformation sur TikTok en faveur du candidat d’extrême droite Călin Georgescu, disqualifié pour la nouvelle élection. Simion, qui s’est allié à Georgescu et a absorbé une grande partie de sa base, a capitalisé sur le mécontentement public face à cette annulation, présentant sa campagne comme une défense de la souveraineté roumaine contre les influences étrangères. Son discours, souvent comparé au mouvement MAGA de Donald Trump, a résonné auprès des électeurs ruraux et de ceux désabusés par l’establishment politique roumain.
Mécanismes de l’UE et actions potentielles contre la France
En outre, une question additionnelle apparait : la Roumanie pourrait-elle recourir à des mécanismes de l’Union européenne pour répondre à l’ingérence présumée de la France ? Les valeurs fondamentales de l’UE incluent le respect de la démocratie et le principe de coopération loyale. Les violations de ces valeurs sont-elles de nature à déclencher des sanctions en vertu de l’article 7, permettant au Conseil de l’UE, avec le soutien d’autres États membres, de suspendre certains droits (comme le droit de vote dans les institutions européennes) d’un État membre reconnu coupable d’une violation grave et persistante. Cette procédure a été utilisée contre la Pologne et la Hongrie par le passé. Alternativement, un État membre peut saisir la Cour de justice de l’UE (CJUE) pour répondre au manquement d’un autre État membre à ses obligations européennes.
Compte tenu de l’absence de preuves concrètes étayant les allégations de Simion et des démentis catégoriques de la France, la mise en œuvre de ces mécanismes serait difficile. La DGSE a précisé que ses interactions avec Durov se limitaient à des questions liées au terrorisme et à la pédopornographie sur Telegram, et non à une censure politique. Sans preuves vérifiables, la Roumanie aurait-elle du mal à atteindre le seuil élevé requis pour l’article 7 ou un recours devant la CJUE ? De plus, la demande de Simion a peu de chances de réussir au niveau national, car la Cour constitutionnelle exigerait des preuves solides d’une ingérence suffisante pour modifier le résultat de l’élection, surtout compte tenu de l’écart significatif de votes. La Cour constitutionnelle l’a déjà fait en décembre 2024 sur des accusations d’ingérences qui à ce jour n’ont pas été étayées.
Implications et perspectives
Bien que la contestation de Simion ait peu de chance d’annuler l’élection, elle prolonge l’incertitude politique en Roumanie sous un gouvernement intérimaire. Son appel à des recours citoyens de masse et au témoignage potentiel de Durov vise à intensifier la pression publique et à maintenir sa pertinence politique. Cette controverse risque également de tendre les relations de la Roumanie avec la France et l’UE, surtout alors que le discours pro-Europe des Nations de Simion gagne du terrain parmi ses partisans. Par ailleurs, la victoire de Nicușor Dan signale une préférence pour la stabilité pro-européenne fédérale, poussée par une poignée de politiciens sous l'influence de Bruxelles, mais la forte participation et la campagne polarisée mettent en évidence de profondes divisions dans la société roumaine.
Alors que la Cour constitutionnelle examine la demande de Simion, l’attention se portera sur sa capacité à étayer ses allégations au-delà des déclarations de Durov et des analyses statistiques. Le diable étant dans le détail, si 22 % des UAT sur 59 % des votes avec des incohérences par rapport aux attendus représentent un faisceau d’indice important, un simple audit devrait permettre de le vérifier.
Pour l’instant, la Roumanie se trouve à un carrefour, confrontée à des questions d’intégrité démocratique et d’influence étrangère dans une région géopolitiquement sensible. La Cour y sera-t-elle sensible ?
Mise à jour :
À 10:20 l'AFP nous apprenait que la Cour constitutionnelle a annoncé ce jeudi le rejet du recours déposé par le candidat nationaliste George Simion après sa défaite au second tour de la présidentielle dimanche, remporté par le maire pro-européen de Bucarest.
"À l'issue de ses délibérations", la juridiction "a rejeté à l'unanimité la demande d'annulation des élections, la jugeant infondée", selon un communiqué.
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