Nous importons plus de 1 poulet sur 2 que nous consommons, 1 fruit sur 3, 10 % de notre farine, 60 % de notre miel .......
« Produire plus pour exporter plus » : le « foutage de gueule » de la souveraineté alimentaire voulue par l’État
Alors que le ministère de l’Agriculture lance le 8 décembre le « Grand réveil alimentaire », des syndicats paysans dénoncent un « enrobage politique » au profit de l’agro-industrie.
Le titre est grandiloquent. Lundi 8 décembre aura lieu le « Grand réveil alimentaire ». Tout un parterre d’acteurs du monde agricole est attendu pour écouter un discours de la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, qui lancera les « conférences de la souveraineté alimentaire ». Car l’heure est grave.
« Nous importons plus de 1 poulet sur 2 que nous consommons, 1 fruit sur 3, 10 % de notre farine, 60 % de notre miel, 80 % de nos produits halieutiques et 65 % des pâtes alimentaires que nous mangeons », a rappelé le ministère de l’Agriculture lors de la présentation de l’événement aux journalistes. Et la balance agricole commerciale s’effondre. Selon l’observatoire des exportations alimentaires françaises, la différence entre importations et exportations était passée de +4,5 milliards en 2024 à seulement +0,35 milliard d’euros en 2025 [1].
« Il en va de la sécurité de notre Nation », s’est alarmé le ministère devant les journalistes. Pour redresser la barre, sept groupes de travail correspondant aux différentes filières sont priés de rendre pour mi-2026 un « plan de production et de transformation », chiffré, à dix ans. En d’autres termes, combien de blé, poules, camemberts, lentilles, tomates ou kilos de pâtes made in France veut-on produire dans dix ans et comment va-t-on s’y prendre ?
« C’est du grand théâtre »
« Le but de cet événement, c’est de faire un choc dans l’opinion », a encore insisté le ministère de l’Agriculture, répétant à plusieurs reprises aux journalistes de « venir nombreux ». Mais l’opération com’ peine à convaincre. Les trois principaux syndicats agricoles — FNSEA, Coordination rurale et Confédération paysanne — bouderont le discours du 8 décembre et son « buffet campagnard ». Déjà, des divergences de forme et de fond s’accumulent. « C’est du grand théâtre, du foutage de gueule », dit Stéphane Galais, éleveur et porte-parole de la Confédération paysanne, résumant le sentiment de nombreuses organisations paysannes et environnementales.
« Nous, on est invités ce 8 décembre, puis [à la fin du rendez-vous] on est priés de rentrer chez nous, regrette Mathieu Courgeau, paysan et porte-parole du collectif Nourrir, qui rassemble plusieurs dizaines d’organisations agricoles et citoyennes. Aucune organisation de la société civile ne prendra part au débat. » Seuls les syndicats agricoles et les représentants des filières agroalimentaires sont conviés aux réunions. Changement climatique et « tendances de consommation » sont des facteurs que les groupes de travail devront prendre en compte, selon le ministère, mais les organisations environnementales et de consommateurs n’y sont donc pas représentées. « On sera très attentif à leur contribution », assure le ministère.
« Il faut dépolitiser l’alimentation, a prévenu la ministre dans un entretien aux Échos le 7 décembre. C’est un enjeu de souveraineté alimentaire et de santé. N’en faisons pas le lieu de l’affrontement idéologique. »
Détourné au profit de l’agro-industrie
C’est sur le fond que les critiques fusent le plus. Derrière ce terme de souveraineté alimentaire, se cache un détournement sémantique au profit de l’agro-industrie. Le terme a été inventé par le syndicat paysan international La Via Campesina, en lien en France avec la Confédération paysanne. « Nous, on l’entend comme le droit des peuples à choisir leur alimentation », explique Stéphane Galais. Ce droit étant entendu comme devant être exercé dans le respect des autres États : pas question d’aller concurrencer un autre pays avec des productions à bas coûts s’il n’en a pas besoin pour se nourrir.
Le ministère de l’Agriculture, lui, la définit comme « la capacité à produire, transformer et distribuer une alimentation saine, durable et accessible à tous, tout en préservant nos capacités exportatrices », en insistant bien sur ce dernier mot. La dimension de choix démocratique disparaît… Ainsi que l’absence de compétition internationale.
« On a vraiment l’impression que le but, c’est de produire plus, pour exporter plus », résume Mathieu Courgeau. Pour lui, ces conférences sont la suite logique de la loi Duplomb — facilitant notamment la réalisation de mégabassines et l’agrandissement des élevages —, qui avait été soutenue par Annie Genevard. « On a permis l’augmentation de la taille des élevages, on a facilité l’irrigation, et maintenant ces groupes de travail vont identifier où mettre les aides aux investissements. C’est un enrobage politique pour augmenter la production intensive. »
« On a l’impression qu’ils font
les choses à l’envers »
Produire plus ne permet pas forcément de renforcer la souveraineté alimentaire, conteste aussi le paysan. Cela peut paradoxalement accentuer les dépendances. Il prend l’exemple du poulet, dont la consommation augmente et pour lequel le ministère de l’Agriculture regrette justement que la moitié soit importée. « Produire plus de poulet en France, cela veut aussi dire augmenter les importations de soja, parce qu’il faut les nourrir, dit Mathieu Courgeau. Ou d’engrais pour produire les céréales qui les nourrissent. »
« C’est une agriculture qui nous rend dépendants aux pesticides, à la pétrochimie, au gaz russe », abonde Stéphane Galais. Les importations d’engrais en provenance de Russie ont d’ailleurs bondi depuis 2021, car fabriquer des engrais chimiques demande beaucoup de gaz, moins cher au pays de Poutine.
Autre incohérence, pour l’éleveur d’Ille-et-Vilaine, la poursuite des accords de libre-échange. « Il y a le Mercosur, bien sûr, mais aussi l’accord avec la Nouvelle-Zélande qui fragilise la filière ovine, celui avec le Maroc pour la filière des fruits et légumes, la filière miel a été fortement impactée par les accords avec l’Ukraine... » liste-t-il. Pour lui, exportations riment alors avec destruction de nombreuses petites fermes. À une question sur le Mercosur lors du rendez-vous avec les journalistes, le ministère a répondu qu’il en parlerait « dans quelques semaines ».
Autre sujet évacué, celui de la Stratégie nationale pour l’alimentation, dont la publication est reportée depuis deux ans. Elle doit définir ce que les Français mangeront à l’horizon 2030, un régime alimentaire cohérent en termes de santé et d’environnement. Ne pourrait-elle pas orienter les débats elle aussi ? « C’est Matignon qui a repris la main », a répondu le ministère.
« On a l’impression qu’ils font les choses à l’envers, qu’il faut produire plus et qu’après, on verra ce que mangent les gens, s’agace Mathieu Courgeau. Nous, on propose de partir de ce que les gens ont besoin de manger. »
Selon un rapport de l’association Terre de liens, 40 % des terres agricoles en France sont déjà consacrées à l’exportation. « Ne pourrait-on pas réorienter ces productions ? s’interroge Mathieu Courgeau. Pour produire plus de protéines végétales, ou de fruits et des légumes, par exemple. »

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