Desservir la France -Tribune de Maurice Druon contre François Bayrou (2004)
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Desservir la France
Tribune de Maurice Druon contre François qui a toujours desservi les intérêts de la France, publiée en 2004 dans le
:
« M. François Bayrou, personnage secondaire et destiné à le rester, n'est remarquable que par sa persévérance à desservir les intérêts supérieurs de la France. Il possède éminemment ce que les Anglais désignent par l'expression de nuisance value, la valeur de nuisance.
A quel moment l'image qu'il a de lui-même a-t-elle commencé de lui brouiller le jugement ? Voilà un Béarnais, fils d'agriculteur, qui, doué pour les études, devient agrégé de lettres classiques. A vingt-huit ans, il fait ses premiers pas en politique en entrant au cabinet de M. Méhaignerie, ministre de l'Agriculture. Il adhère du même coup à la formation centriste que créa Giscard d'Estaing pour servir à son élévation personnelle. Cette formation, qui aura participé à renverser le général de Gaulle en 1969, deviendra l'UDF.
M. Bayrou s'y installe et y prospère. Il est élu conseiller général dans son département natal, puis conseiller régional. Conseiller, il l'est aussi de M. Pierre Pfimlin, à la présidence de l'Assemblée européenne. M. Pfimlin était un excellent homme à tous égards, qui exerça avec droiture des fonctions très élevées. Il n'avait qu'un défaut : il était centriste, c'est-à-dire que, comme tous les centristes, il se trompait sur la hiérarchie des valeurs.
On lui doit d'avoir fait perdre à Paris d'être la capitale de l'Europe. En effet, il était entendu entre Adenauer et de Gaulle que les institutions de la Communauté européenne auraient leur siège à proximité. Un grand ensemble serait construit en proche région parisienne. Là-dessus, Pfimlin, alsacien, intervient en clamant : « Strasbourg, Strasbourg... le lien entre la France et l'Allemagne, entre les deux cultures... la réconciliation... Strasbourg ville symbole ! » Pouvait-on insulter l'Alsace ? On remisa le projet parisien.
La démarche procédait d'un bon sentiment, mais d'une erreur de jugement.
Paris, grande métropole des arts et des affaires, en même temps que centre international de communications, avait tous les attraits pour les députés, les diplomates et les fonctionnaires européens ; Strasbourg, belle mais provinciale, avec des divertissements limités et surtout mal desservie, obligeant à des changements d'avion pour atteindre son aérodrome souvent embrumé, n'exerça que peu de charmes sur la nouvelle population communautaire. Si les sessions mensuelles du Parlement à quel coût et pour combien de temps ? continuent de s'y tenir, tout le reste, commissions et services, s'est installé à Bruxelles et c'est Bruxelles qui est devenue la capitale administrative de l'Union.
Revenons à M. Bayrou qui poursuit un parcours politique assez habituel. Élu député, il montre assez vite un appétit ministériel en se faisant des problèmes de l'enseignement une spécialité. Il fonde et préside un groupe permanent de lutte contre l'illettrisme. Louable programme. Le malheur veut que, le temps qu'il fut ministre de l'Éducation nationale, l'illettrisme ne cessa d'augmenter et le niveau général des études de baisser. Est-ce durant cette période que se produit en lui une dilatation un peu excessive de l'ego ?
On dit, on raconte qu'il réveilla une nuit les membres de son cabinet, les convoquant d'urgence au ministère, pour les consulter sur une vision qu'il venait d'avoir de son avenir présidentiel. L'anecdote a couru avec trop d'insistance pour qu'il n'y ait pas, à son origine, quelque réalité.
Pourquoi suis-je à m'arrêter si longtemps sur M. Bayrou, alors que nous avons des soucis qui semblent de plus d'importance ? C'est parce que, non content de mettre du désordre dans notre politique intérieure, il agit en ce moment au contraire des intérêts de la France dans le Parlement européen.
M. Bayrou est candidat à la présidence de la République, on le sait. Il l'a fait savoir urbi et orbi, et l'obstination étant dans sa nature, il y a tout à penser qu'il le sera à vie. Il s'est d'ailleurs présenté en 2002 et arrivé dans la queue du peloton, 6,8 %, il a aussitôt revêtu le maillot au dossard marqué 2007.
Assurant faire partie, à l'Assemblée nationale, de la majorité afin de garder son électorat, il tient son groupe parlementaire à la lisière, sous le prétexte de refuser la caporalisation ; il ne cesse de critiquer l'action du gouvernement, avec souvent les arguments de l'opposition, et ne vote pour lui que du bout des doigts, quand il ne s'abstient pas, attendant visiblement sa chute. Belle logique politique ! C'est ce que M. Bayrou appelle cultiver sa différence. A bénéficier d'un si grand soutien, on en vient à préférer des adversaires.
Son programme ? Il n'est fait que de mots usés et de formules devenues creuses à force d'avoir trop servi. On se croirait revenu à « la République plus juste, plus humaine » d'il y a trente ans. Tout vieillit, même la démagogie.
Aux récentes élections régionales, en lançant partout ses propres listes, il a fait perdre à la droite bon nombre de sièges qu'elle eût conservés si elle s'était présentée unie, et il a contribué aux victoires locales des socialistes, ce qui, avec la décentralisation en cours, ne sera pas sans conséquences. Mais c'est au nouveau Parlement européen qu'il devient le plus dangereux.
[...]
Quel gâchis ! Et tout à l'avenant. Ceux qui se tiennent autour de François Bayrou par intérêt de carrière, comme ceux qui y restent par loyauté personnelle, s'exposent, les uns comme les autres, à connaître de graves mécomptes.
Je n'ai en politique d'autre critère que les services rendus au pays.
Le prince de Talleyrand disait : « Faute de richesse, une nation n'est que pauvre ; faute de patriotisme, c'est une pauvre nation. » »
Maurice Druon.
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