Réalisme contre storytelling : l'analyse implacable d’Olivier Frot, Saint-Cyrien et docteur en droit, contre l’illusion d’une armée européenne

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France-Soir
Publié le 24 septembre 2025 - 
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Olivier Fort
Réalisme contre storytelling: le réquisitoire d’Olivier Frot, Saint-Cyrien et docteur en droit, contre l’illusion d’une armée européenne
France-Soir

Ancien officier, docteur en droit et chroniqueur, Olivier Frot livre un témoignage cru sur la guerre telle qu’il l’a vécue et démonte, textes à l’appui, le mythe d’une défense européenne crédible. « On ne joue pas avec l’armée pour faire de la politique », prévient-il.

Pendant 25 ans sous l’uniforme, Olivier Frot — Saint-Cyrien, passé par l’Afrique et l’ex-Yougoslavie — a vu de près ce que le grand public n’aperçoit qu’à travers les écrans. Son récit d’une soirée de mars 1999 en Macédoine, à la frontière du Kosovo, où l’OTAN s’apprête à frapper la Serbie, vaut acte d’accusation contre les illusions technocratiques et les contorsions juridiques : « Dans ces moments-là, il n’existe qu’une seule réalité : la réalité nationale. Quand il faut payer — en argent ou en sang — chacun pense à son pays. »

Le 23 mars 1999, à l’ultimatum de l’OTAN, l’état-major multinational où il sert — lead nation : la France — est à portée de l’artillerie serbe. Protection : deux blindés britanniques et des pistolets de dotation. La veille, décrit Frot, « les contingents sont partis les uns après les autres, sans prévenir. Les Italiens ont disparu entre midi et deux. Les Britanniques aussi. Les blindés qui nous protégeaient étaient partis. » Restent Français, Allemands et Hollandais. Les ordres nationaux tombent : repli immédiat ou abri en cave. « Quand mon adjoint allemand m’a serré la main, j’ai eu l’impression de serrer la main d’un homme mort. »


S’ajoute un cas de conscience. Deux interprètes macédoniens orthodoxes, recrutés localement, l’interpellent : « Comment pouvez-vous vous associer à ça ? » Frot tranche, sévère : « Nous bombardions sans mandat de l’ONU. C’était illégal. Si les Serbes répondaient, on serait morts pour quoi ? J’ai eu l’impression d’avoir été trompé pendant toute ma carrière. »

De cette expérience, il tire une double conviction. D’abord, que « la guerre en fauteuil », dans les médias ou sur les plateaux avec ex-généreux bons clients, déforme l’essentiel : « Ça m’exaspère au plus haut point. On oublie le prix du sang. » Ensuite, que les architectures multilatérales fondées sur la norme et la communication se heurtent au réel : « En multinational, humainement, c’est remarquable. Militairement, c’est souvent pléthorique et peu efficace. Le chef est américain — ou son adjoint. Et, à l’heure des risques, c’est la nation qui décide. »

À l’heure du conflit russo-ukrainien, son regard de juriste ajoute un second étage à sa critique. « Je peine à voir l’intérêt national français. On trouve des dizaines de milliards pour l’Ukraine, on prélève des matériels sur les dotations de l’armée sans remplacement, et sans vote du Parlement. C’est contraire à la loi. » Les alertes de parlementaires ou de militaires sanctionnés n’y changent rien, dit-il : « L’État de droit, on nous le brandit comme un totem quand ça arrange. Sinon, on passe à côté. »

Sur l’ « armée européenne », ce « serpent de mer » relancé à Bruxelles, Frot oppose à la fois l’histoire longue et les textes. Historique d’abord : de la CED avortée en 1954 au Saint-Empire, de la Grande Armée de Napoléon aux formations Waffen-SS multinationales, jusqu’à l’OTAN contemporaine, « l’Europe oscille entre nations et tentations impériales. Chaque tentative d’armée européenne a fini par se briser sur le roc des souverainetés et des intérêts divergents. » Sa phrase est lapidaire : « En tant que militaire, ça ne fonctionne pas. Et ça ne fonctionnera pas. »

Juridiquement, il cite le Traité sur l’Union européenne : la « définition progressive » d’une défense commune ne peut aboutir qu’à l’unanimité du Conseil européen. « La Commission n’a pas la main. Pourtant, on voit un activisme « informel » — Plan Rearm Europe, déclarations sur l’envoi de troupes — qui dépasse le mandat. Une politique des grands pas, hors traités, au nom de la bonne cause » Et la mécanique, selon lui, est claire: « Désigner un ennemi pour faire l’Europe. L’islam est politiquement inflammable ; la Russie, lointaine et rationnelle, fait un adversaire pratique. La peur sert le projet. »

Sur l’industrie de défense, son diagnostic tranche avec les slogans d’intégration : « Ce qui marche, ce sont les coopérations bilatérales ou trilatérales — pas besoin d’un étage supranational pour ça. Regardez le Transall, succès durable. À l’inverse, le SCAF patine, l’Eurofighter a accouché d’un avion inférieur au Rafale. L’Europe est l’empire de la norme et des états-majors, pas celui des capacités. »

L’alliance euro-atlantique y est, dit-il, la clef de voûte réelle : « L’OTAN est une armée d’officiers; les troupes restent nationales. Et la réalité finale, c’est l’achat d’armes américaines dont l’emploi est subordonné à Washington. » D’où sa charge contre une « négociation sans contrepartie » : « Ce n’est pas une négociation ; c’est une soumission. »

Face à la dissonance entre salons ministériels et terrain, Frot confie sa colère, mais aussi sa tristesse : « Entre anciens, beaucoup sont dans le déni : admettre que les institutions mentent, c’est ébranler des convictions profondes. D’autres, comme moi, sont révoltés. L’armée reflète la nation. » Et d’éreinter les va-t-en-guerre médiatiques : « Ces gens-là n’ont pas fait une marche de nuit avec 30 kg sur le dos. Ils envoient les gueux se faire trouer la peau ; pour leurs enfants, ‘certainement pas’, disait une dirigeante européenne en riant. »

Sa conclusion tient en une maxime transmise par un aîné général : « Le pouvoir ne devrait pas mentir, surtout à ses soldats. On ne joue pas avec l’armée pour faire de la politique. » Rappel d’une exigence simple, à l’heure où, selon lui, l’Union avance « par l’exception et l’émotion » et où la France s’engage « sans mandat clair, sans intérêt explicité, sans vote ». Le réalisme, dit-il, ne consiste pas à prendre ses désirs pour des réalités, mais à regarder en face le coût humain, financier et juridique des choix. Et, à répondre, enfin, à la question qui tue : « Pourquoi ? »

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